En 1623, dans son livre L’Essayeur , Galilée écrivait ces phrases devenues célèbres : « La philosophie est écrite dans cet immense livre qui se tient continuellement ouvert sous nos yeux (je parle de l’Univers), mais on ne peut pas le comprendre si l’on n’apprend pas d’abord à comprendre son langage, et à reconnaître les caractères avec lesquels il est écrit. Il est écrit en langue mathématique, et les caractères en sont les triangles, les cercles, et les autres figures géométriques, sans lesquels il est humainement impossible d’en comprendre un mot ; sans eux, nous errerions vainement dans un labyrinthe obscur ».
Galilée pressent là que pour connaître la nature en profondeur, il faut d’abord admettre le caractère secondaire des qualités sensibles que possèdent les choses. Les couleurs d’un ciel, la suavité des odeurs, l’élégance des formes, toutes ces qualités ne constituent en définitive que des apparences : accidentelles, contingentes, changeantes, elles ne prennent corps que dans nos subjectivités respectives, si bien que nous ne pouvons pas former à partir d’elles des propositions qui soient à la fois rigoureuses et universelles. En revanche, poursuit Galilée, nous disposons, pour ce qui concerne l’ essence des choses, d’un mode de connaissance capable de nous livrer des vérités susceptibles de s’imposer à tout esprit. Et ce mode de connaissance exact et idéal, c’est le langage mathématique qui le rend possible.
Des lois physiques peuvent être formulées grâce à lui, qui seront ensuite validées ou invalidées par des expériences conçues à cette fin. C’est cette façon singulière d’envisager l’exploration du monde qui a fini par donner à la physique toute son efficacité : grâce à certaines équations mathématiques, on sait aujourd’hui décrire avec une très grande précision le comportement de particules des milliards de milliards de fois plus petites qu’un puceron ; on a pu prévoir - puis établir expérimentalement - l’existence de phénomènes tout à fait étranges, sans contrepartie dans la vie ordinaire, tel l’effet tunnel, qui est une sorte de jeu de passe-muraille ou de saute-moutons pour particules, ou encore la non-séparabilité quantique ; on a pu prédire l’existence d’objets ou de phénomènes physiques que personne ne connaissait et n’avait encore observés, par exemple les antiparticules, les trous noirs, les ondes gravitationnelles ou encore le boson de Higgs. C’est bien la preuve que les mathématiques, du moins une partie d’entre elles, constituent un véritable « treuil ontologique » : elles sont capables d’enrichir, par des arguments qui leur sont propres, le mobilier de l’univers physique. Associées aux expériences, elles ont ouvert la voie à des types de connaissances nouvelles. Qui, sans elles, aurait pu faire de telles découvertes ? (...)
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