Un objet culturel passé au crible d’une critique libre et assumée. Aujourd'hui, la première saison de la série Cœurs Noirs de Corinne Garfin et Duong Dang-Thai, réaliée par Ziad Doueiri, avec Nicolas Duvauchelle, Marie Dompnier et Tewfik Jallab, disponible sur Prime Video :
Six épisodes d’environ cinquante minutes chacun s’aventurent opportunément sur un terrain fort peu balisé par la fiction française : la guerre contemporaine.
Nous sommes en Irak en octobre 2016, à la veille de la bataille de Mossoul, alors que les forces irakiennes, épaulées par les Kurdes et la coalition internationale, s’apprêtent à lancer l’assaut pour reprendre la seconde ville du pays, tombée aux mains de l’Etat Islamique. La série colle aux pas d’une petite unité mobile française, qui en marge du grand conflit, tente de récupérer la fille d’un terroriste français pour négocier des informations cruciales et déjouer de possibles attentats de Daesh sur le sol européen.
La série fait un double choix tout à fait heureux. D’une part, celui du pas de côté. La grande histoire de la bataille de Mossoul et ses enjeux stratégiques et géopolitiques reste un contexte lointain - la première grande scène d’action à la fin du premier épisode se passe au bord de la ville, dans un tunnel d’égout qui débouche sur un terrain vague en dehors de la grande bataille, on entend quelques bruits de bombardement, on voit de la fumée, mais l’action majeure reste la plupart du temps en hors-champ. D'autre part, et c’est lié, la série fait le choix d’une échelle réduite : une poignée de militaires en action, dont l’un est médecin, l’autre sniper, un autre encore piégeur, à l’arrière quelques officiers supérieurs, deux analystes, une petite unité multi-tâche, hyper mobile et adaptable, qui fait un peu tout, du renseignement à l’assaut. C’est assez passionnant car on peut approcher ainsi le travail concret sur le terrain, comprendre comment fonctionnent les spécialités des uns et des autres et ce qui se joue dans la hiérarchie. La caméra suit tout ça la plupart du temps en plan rapproché, le spectaculaire ne repose pas sur le nombre, mais sur l’intensité d’actions ciblées. Il y a vraiment un plaisir de la mécanique militaire, observable dans la longueur et dans le détail.
Ça m’a fait penser à une série du maître David Simons, le créateur de The Wire. Il avait créé en 2008 une mini-série sur la guerre américaine en Irak, Generation Kill, qui mettait en scène un journaliste embarqué dans une unité de combat. Tout se passait à l’échelle de trois pick-ups, au plus près du quotidien des soldats. C’était sec, assez cruel, et passionnant.
Au ras des rangers
On retrouve dans une certaine mesure cette sécheresse dans Cœurs noirs. C’est moins assumé, certes. La série française s’attache à tisser quelques relations sentimentales, quelques contextes affectifs par ci par là pour camper les personnages. Le début du premier épisode fait un peu peur de ce point de vue - un coup de fil à la femme enceinte, une liaison secrète. Il faut faire abstraction car, par la suite, la série ne lâche plus vraiment le fil de l’action et ça devient franchement mieux. Ça tient à la qualité de ses interprètes, notamment Nicolas Duvauchelle, Marie Dompnier et surtout Nina Meurisse, qui sont particulièrement convaincants. Ça tient surtout à la qualité de la réalisation, signée par le libanais Ziad Doueiri, dont on sent le goût pour la scène d’action. Elles sont toutes très réussies parce qu’elles respectent un rythme assez lent, acceptent de représenter l’attente, le temps long - par exemple l’assaut final dans un village la nuit, qui dure le temps d’un épisode tout entier. On voit l’équipe s’installer, attendre la nuit noire, se placer. Pendant plusieurs minutes la caméra suit le placement de la sniper, qui simplement descend puis remonte une colline, empêchée par son énorme équipement. Elle reste collée au personnage, refusant au spectateur le plan large et l'occasion de voir, comme la sniper potentiellement, le danger arriver. Ce qui est assez juste aussi, c’est là où la série place ses intérêts dans l’économie du récit de guerre, dans un entre deux entre le renseignement - on pense bien sûr au Bureau des Légendes, série sur laquelle ont d’ailleurs travaillé les deux scénaristes - et la pure action du film de guerre. Les missions du groupe sont à la fois polyvalentes et réduites, Cœurs noirs reste humble dans son ambition et ne cherche pas à faire discours : il s’agit seulement, pendant six épisodes, de camper dix personnes qui en cherchent deux ou trois autres. Tout ça s’achève dans un retournement et un effet de suspens assez remarquable, en bref on veut la suite.
Transcription de la chronique de Lucile Commeaux