Dans son texte "Ecrire l’Afrique à partir d’une faille", l’un de ses rares textes personnels, Achille Mbembe dit être né un jour de 1957 au Cameroun, "à l’ombre d’une contrée sans nom propre", puisque cette appellation n’est que "le produit de l’étonnement de quelqu’un d’autre" ; à savoir l'étonnement des marins portugais surpris au XVe siècle par la profusion de crevettes sur le fleuve Wouri, crevettes ou camaroes en portugais, qui donnera ce nom, Cameroun.
Achille Mbembe a grandi dans le village de Malandè. Il évoque ces lieux où fourmillent ses souvenirs, la ferme de son père, la rivière, les arbres et des histoires surtout. Il y avait les contes et les légendes qui racontaient, a-t-il compris plus tard, "la lutte des faibles contre les forts".
Il y avait aussi les chants de sa grand-mère, passeurs précieux de la mémoire des combattants indépendantistes camerounais qui prirent le maquis à partir de 1955 pour affronter l’armée française ; une guerre brutale et meurtrière qui utilisa les mêmes méthodes terribles qu’en Algérie. Et une guerre encore largement tue aujourd’hui, tant le pouvoir installé par la France après l’indépendance s’employa à faire disparaître sa mémoire, à "faire comme si ces combattants n'avaient jamais existé" et allant jusqu'à interdire de prononcer le nom des combattants assassinés ou de porter une quelconque effigie.
Parmi eux, Ruben Um Nyobè, grande figure de l’indépendance camerounaise, était surnommé "Mpodol", ou "celui qui porte la parole" en langue bassa. L’oncle d’Achille Mbembe fut tué en même temps que lui.
La nécessité de "redonner vie à Um" et de lever le voile sur ces violences que le pouvoir voulait anéantir habitera tous les premiers travaux d’Achille Mbembe. Et avec ce dévoilement, une question hante toute son œuvre : celle du meurtre à l’encontre du frère, de l’acte de cruauté envers les siens, tragique élément constitutif de ce qu’il nomme la "nuit du monde africain postcolonial".
Générique
Une série d’entretiens proposée par Amélie Perrot. Réalisation : Marie Plaçais. Chargée de programme : Daphné Abgrall. Prise de son : Matthieu Leroux. Coordination : Cécile Bidault.
Pour aller plus loin
Achille Mbembe, Ecrire l’Afrique à partir d’une faille, Politique africaine, 1993
Le conflit des symboles. Par Achille Mbembe, Le Monde Diplomatique, avril 1985
Bibliographie sélective
La communauté terrestre, Achille Mbembe, Editions La Découverte, 2023.
Brutalisme, Achille Mbembe, Edition La Découverte, poche 2023.
De la postcolonie, Essai sur l’imagination politique dans l’Afrique contemporaine, Achille Mbembe, La Découverte, dernière édition 02/2020.
La guerre du Cameroun, L’invention de la Françafrique (1948-1971), Thomas Deltombe, Manuel Domergue, Jacob Tatsitsa, préface d’Achille Mbembe, La Découverte, 2016.
Politiques de l’inimitié, Achille Mbembe, La Découverte, 2016.
Sortir de la grande nuit, Essai sur l’Afrique décolonisée, Achille Mbembe, La Découverte, 2013.
Critique de la raison nègre, Achille Mbembe, Éditions La Découverte, poche, 2013.
L’ivrogne dans la brousse, Amos Tutuola, 1952, réédition chez Gallimard en 2006.
La naissance du maquis dans le Sud-Cameroun, Achille Mbembe, Karthala, 1996.
Afriques Indociles, Achille Mbembe, Karthala, 1988.
Ruben Um Nyobé : Le problème national camerounais , Achille Mbembe, L’Harmattan, 1985.