Il y a quelques semaines s’achevait la fouille de la basilique-Cathédrale de Saint Denis. De nombreuses sépultures mérovingiennes et carolingiennes, pour certaines antérieures à la construction de l’édifice, étaient exhumées.
Claude Héron "Les années 1970, c'est l'époque où l'on commençait à prendre conscience de l'inadéquation des moyens financiers, de la réglementation, des techniques... pour faire face à une érosion grandissante du patrimoine archéologique. [...] Beaucoup de villes connaissent alors leur scandale archéologique, avec toujours les mêmes ingrédients : d'un côté, un projet d'aménagement, de l'autre, un patrimoine archéologique. Des travaux commencent, faute d'avoir été anticipés, des vestiges archéologiques subsistent, et les archéologues sur place, lorsqu'il y en a, les sauvent comme on peut. C'est le début de l'archéologie de sauvetage."
Aujourd’hui, c’est un autre chantier qui débute et ouvre ses portes au public durant les journées de l’archéologie : sous la place Jean-Jaurès, les archéologues dégagent les loges de "la fête du Lendit". Cette fête fut créée à l’occasion de l'ouverture de la châsse reliquaire de Saint-Denis, le 9 juin 1053. Cette ouverture coïncida avec l'exposition en public des reliques de la Passion : un clou et une partie de la couronne d'épines du Christ. D’exceptionnelles indulgences sont alors accordées aux pèlerins qui visitent la basilique. Cet événement religieux voit alors l'afflux de marchands. En 1556, Henri II fait transférer la foire à l'abri des remparts de la ville.
Claude Héron "Ce qui singularise, peut-être, le plus les fouilles de Saint-Denis, c'est la quantité de mobilier archéologique, d'objets de toutes sortes qui nous renseignent sur la culture matérielle de l'époque médiévale, des objets du quotidien, mais aussi des objets plus rares, des pièces d'importation, par exemple."
Aujourd’hui, les caves de ces loges sont fouillées. Les loges de la foire du Lendit ont été démolies en 1854 et remplacées par des halles métalliques, détruites à leur tour, entre la fin du XIXe et le début du XXe siècle. Un kiosque à musique, dont on retrouve les vestiges aujourd’hui, y est alors construit, puis détruit vers le milieu du XXe siècle.
Vincent Charpentier s'y est rendu pour réaliser un reportage avec Georges El Haibe, archéologue, responsable de recherche à l’Inrap, spécialiste d’archéologie urbaine.
Georges El-Haibé "Cette foire était, au XIIᵉ siècle, installée à La Plaine, entre Paris et Saint-Denis. En 1426, elle a été interrompue 18 ans à cause de la guerre de 100 Ans. En 1444, Charles VII a déplacé cette foire à l'intérieur des murailles pour la protéger, et a été installée en partie ici sur cette place où elle a été définitivement installée là, par Henri II en 1556. Les caves datent de cette période là."
**Georges El-Haibé "**Ce fossé, en fait, a été creusé en 869 dans le but de protéger la basilique et l'abbaye contre les raids des Vikings. D'après les nombreuses fouilles qui ont eu lieu tout autour de nous, ce fossé était parfois simple, parfois double, et là, il y avait un plan ovale centré sur la basilique, de diamètre entre 400 et 500 mètres, donc qui protégeait une surface d'environ huit hectares."
**Olivier Meyer "**Au début du siècle, on a tenté de détourner ces rivières des agglomérations car elles étaient considérées comme des foyers pestilentielles. Il est vrai que quelquefois, elles jouaient un petit peu un rôle d'égout et qu'en plus des problèmes d'humidité, elles n'étaient plus guère nécessaires aux artisans qui avaient déserté le quartier."
La fouille du Croult, petit ruisseau d’une exceptionnelle richesse
Les archéologues dégagent aussi un très vaste fossé, créé pour protéger la ville des raids viking du IXe siècle. Celui-ci était alimenté en eau, par un petit ruisseau : le Croult. Ce ruisseau a été fouillé en 1990, et avait été l’objet d’un reportage de France Culture, avec Olivier Meyer, archéologue (émission " Archéologiques "), l’occasion d’écouter cette étonnante archive.
Olivier Meyer "Pour schématiser, on pourrait dire que, à l'époque carolingienne, une chaussure est en grande partie exclusivement constituée d'une seule pièce avec une découpe assez complexe, alors que plus tard, c'est un ensemble de pièces de cuir qui sont ré-associées et qui peuvent compter une douzaine d'éléments."
Conservés dans les vases, des milliers d’éléments en cuirs étaient dégagés, dont notamment des poulaines (chaussures, pantoufles). Hormis d’exceptionnelles quantités de céramique, des objets en métal étaient découverts, dont une exceptionnelle bulle papale (document scellé), mais aussi de très nombreuses "enseignes", preuves pour les fidèles d’avoir entrepris un pèlerinage, dont le clergé se débarrassait en les jetant dans les eaux du ruisseau.
Le musée d’Histoire de Saint-Denis présente un étonnant bonnet en jersey, produit à partir de "laine de poisson" : c’est-à-dire la fibre (byssus) d’une grande moule, la Pinna nobilis, produite en Méditerranée puis exportée.
Avec Claude Héron, archéologue, attaché de conservation du patrimoine, directeur du service départemental d'archéologie de la Seine-Saint-Denis, et membre du conseil scientifique de l'Institut national de recherches archéologiques préventives (Inrap).
Claude Héron "Le bonnet en byssus a longtemps été un "unicum". Il se trouve que, très récemment, un second fragment a été identifié comme fragment de byssus et qu'un troisième fragment est suspecté d'en être aussi. [...] Ce qui m'amène à penser que, dans des réserves archéologiques constituées à partir de la fouille de contexte urbain de qualité, de contexte élitaire, il y a peut-être d'autres fragments de byssus qui attendent d'être identifiés."
Depuis 14 ans, au mois de juin, se déroulent les Journées de l’archéologie. Ainsi, se rassemblent désormais 36 nations européennes pour ouvrir chantiers de fouille et musées, afin que tout un chacun puisse en profiter et aller les visiter…
>> Les Journées européennes de l'archéologie se tiennent les 16, 17 et 18 juin partout en France et en Europe.
>> Accès directement par la carte.
Pour aller plus loin
- >> Claude Héron
- Publications de Claude Héron, sur le site Isidore.science.
- A lire, l'article, Claude Héron, dans les entrailles de Saint-Denis (17 mai 2023, l'Humanité.fr).
- >> Georges El Haibé
- Ses pages de présentation : sur Linkedin, sur Academia (Inrap), sur le site du laboratoire HiSoMA (Histoire et Sources des Mondes Antiques) de l'Université de Lyon 2, sur le site de l'Institut français du Proche-Orient.
- Ses publications sur le site Academia.
- A lire, deux articles, Georges-El-Haibé sur les traces du passé (2017, Carole Awit, l'Orient-Le Jour), et, Georges-El-Haibé à la découverte de l'histoire archéologique de Beyrouth avec le soutien de l'AUF (2018, AUF - Agence Universitaire de la Francophonie).
- Page sur l'UASD - Unité d'Archéologie de Saint-Denis, pionnière en France.
- Article sur la fouille de la place Jean Jaurès à Saint-Denis (site de l'Inrap).
- Page sur la petite rivière du Croult.
- Saint-Denis au Moyen-âge : Le Croult et les métiers de la rivière (site du ministère de la Culture/archéologie).
Extraits sonores
- Reportage sur la fouille de Saint-Denis, menée par Georges-El-Haibé.
- Archive : extrait de l’émission “ Archéologiques ” avec Olivier Meyer, archéologue, sur France Culture, diffusée le 15/09/1990.