Chaque jour, des tonnes de produits frais affluent vers nos grandes villes. Nous trouvons en abondance et sans même nous en étonner quantité de poissons, viandes, fruits et légumes à disposition chez les commerçants de détail et dans les supermarchés. Pourtant, cette ‘simplicité’ d’accès était loin d’être une réalité pour nos ancêtres, comme le rappelle l’historien Reynald Abad en évoquant la tragique histoire de François Vatel, “qui se suicide parce qu'il n'est pas capable d'approvisionner dans les délais nécessaires la table de son maître, le prince de Condé, l'un des plus grands seigneurs du royaume qui devait organiser une fête en l'honneur de Louis XIV“. Ainsi, en ne voyant pas arriver le poisson qu’il avait commandé, Vatel s’ôte la vie de désespoir, ce qui, pour l’historien, montre “qu’au-delà du caractère presque ‘anecdotique’, de la mort d'un individu, les difficultés que constitue l'approvisionnement en poissons de mer frais, et la difficulté de garantir la chaîne d'approvisionnement depuis les ports, mais aussi depuis la mer elle-même jusqu'au lieu de consommation“.
Dans cet épisode et à travers une variation sur la notion de fraîcheur, nous découvrons dans l’histoire l’ingéniosité déployée pour trouver des solutions de conservation des aliments et comment cette contrainte, avant l’invention de la réfrigération artificielle, a été une source d’inspiration gastronomique, pour notre plus grand plaisir.
Reynald Abad raconte, par exemple, comment à Paris, “existe à l’époque un besoin massif, à la fois pour une clientèle pauvre, avec en même temps des besoins très importants pour une clientèle très riche. Et le résultat, c'est qu'on voit émerger des chaînes d'approvisionnement parfois totalement originales, en tout cas beaucoup plus développées que dans le reste du royaume dans tous les domaines de l'alimentation“. Il évoque ainsi le transport ingénieux des huîtres : “L'approvisionnement en huîtres par exemple, c'est une chaîne d'approvisionnement très originale, qui consiste non pas simplement à apporter des huîtres fraîches, mais à trouver le moyen d'augmenter la durée de vie des huîtres qu'on transporte en les faisant transiter par des parcs à huîtres dans certains ports de la Manche, très loin du lieu où elles sont pêchées”.
Par ailleurs, il précise : “Par rapport à ce qu'on connaît aujourd'hui, on a une organisation de l'approvisionnement qui est liée directement à la question de la conservation et qui détermine en fait l'activité même des terroirs. Autrement dit, le choix du produit que vous allez commercialiser est directement lié à votre distance au débouché et donc à des problèmes de conservation”.
Un documentaire d’Elise Gruau, réalisé par Agnès Cathou.
Avec :
- Reynald Abad, professeur d’histoire moderne à Sorbonne Université, auteur de Le Grand Marché,l’approvisionnement alimentaire de Paris sous l’Ancien Régime, Fayard.
- Ada Acovitsioti-Hameau, anthropologue et archéologue, vice-présidente de l'A.S.E.R. du Centre-Var et directrice du Musée de la Glace
- Gilles Fumey, professeur en géographie culturelle de l'alimentation à Sorbonne Université, auteur de Manger local, manger global (Cnrs éd.).
- Elisabeth Philipp, historienne spécialiste de l’histoire de la Villette.
- Charles Guirriec, fondateur de Poiscaille, réseau d’abonnement et livraison en circuit court de poisson frais et son équipe.
Lecture de la Lettre de Madame de Sévigné à propos de Vatel par Fabienne Laumonier.
Merci à Clara et Anaïs pour leur participation.
Prise de son : Johanna Gabric, Marc Garvenes, Loïc Duros, Raymond Albouy, Arthur Gerbault.
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