Définir ce qu'est l'art écologique et donc de quelle situation partent les artistes, parce que la situation écologique actuelle est somme toute inquiétante, si l'on en croit les spécialistes du GIEC, et inspire une forme de terreur, l'éco-anxiété, la solastalgie, le sentiment de ne pas nous sentir bien, y compris dans notre propre maison.
Thierry Boutonnier "Un art écologique est un art qui est "sœur" de la science et l'écologie est une science. Ma pratique est intimement liée à une découverte par l'épreuve, par l'expérience d'un milieu. J'ai grandi dans l'exploitation familiale de mes parents, éleveurs laitiers, dans le Tarn. Cette question de la domestication, c'est-à-dire de rendre habitable notre lieu de vie, de travail, par une illusion de contrôle ou de maîtrise sur le vivant, c'est dans cela que j'ai baigné, et j'ai aussi fait un parcours scientifique. [...] C'est grâce à ma curiosité, affinée par les sciences, que j'ai développé une sensibilité qui s'accroît et développe mes capacités de transformation."
Comment, également, fonder ce qu'on peut appeler, une écosophie, une écologie à la fois fraternelle, sociale, politique, culturelle. Il s'agit, en la matière, de cerner les liens que les artistes et créateurs, en général, tissent avec le vivant et comment ils se mobilisent avec la création pour affronter les défis que pose justement l'anthropocène.
Y a-t-il un art que l’on pourrait dire “écologique” ou “écosophique”, lié de façon consubstantielle aux grands enjeux que pose l'actuelle et douloureuse transition climatique ? Comment s’élabore-t-il et que vise-t-il ?
Avec Thierry Boutonnier, artiste arboriculteur, enseignant à l’école supérieur des arts et du Design de Valence-Grenoble, membre de différentes associations, qui travaille notamment sur le milieu vivant, les animaux, l'alimentation, Loïc Fel, docteur en philosophie, spécialiste en épistémologie des sciences, co-fondateur de l’association COAL pour l’émergence d’une nouvelle culture de l’écologie et co-fondateur de l’agence Influence for good, et Lauranne Germond, historienne de l'art, autrice, commissaire d'exposition, spécialiste des approches artistiques, de l'écologie et de la nature et co-fondatrice de l'association Coal.
Lauranne Germond "Le terme "artiste écologique" regroupe une grande diversité d'artistes, et c'est très compliqué d'enfermer ce champ de pratique, très vaste, dans un seul et unique terme. [...] Les artistes s'emparent de ces phénomènes globaux du type du changement climatique, l'érosion de la biodiversité, qu'on ne peut pas saisir à l'échelle individuelle, pour les traduire dans des formes esthétiques, sensibles, perceptibles. Il y a aussi beaucoup d'artistes qui vont directement travailler avec, et en reprenant peut-être les méthodes et les outils des militants, donc vraiment de l'action politique. [...] L'artiste peut aussi devenir berger, agriculteur, herboriste, etc, et donc embrasser d'autres champs d'action pour pouvoir mener à bien sa pratique artistique."
Loïc Fel "L'artiste offre une opportunité dans le collectif pour l'action écologique, où il sort du champ des relations de pouvoir habituels parce qu'il n'aura pas d'obligation de résultat. Il peut ne pas réussir son objectif de transformation sociale, il n'a pas d'objectif d'avoir un modèle économique. Il n'est pas dans un jeu de pouvoir, à vendre quelque chose ou à vouloir être ré-élu. Du coup, il y a une posture de neutralité qui lui permet d'être un agent ou un lien social sur un territoire pour proposer des choses."
Lauranne Germond "Même éplucher une pomme de terre peut être une œuvre d'art du moment que c'est un acte conscient. Finalement, comment, collectivement, on peut tous transformer la société, on peut tous être créateurs, si tant est que l'on est conscient de ce que l'on fait et que l'on agit collectivement. Et donc cette idée que l'on peut sculpter le champ de la société comme on peut sculpter la matière, c'est, me semble-t-il, un des aspects très importants de cet art écologique."
Thierry Boutonnier "Il s'agit de mettre en présence, de développer des situations expérientielles où tous les autres sens, et pas seulement la vue, sont sollicités : le parfum, le toucher, l'ouïe, évidemment, le goût aussi, et la proprioception que l'on partage avec les plantes."
Pour aller plus loin
➢ A propos de Thierry Boutonnier
• Son site, Domestication, avec ses réalisations, ses expositions...
• Vous pouvez découvrir ses œuvres collectives de pépinières urbaines comme APPEL D'AIR* au jardin urbain Vive les Groues à Nanterre, Gratte Terre (2019/2023) au Laboratoire à ciel ouvert de Villeurbanne, Eau de Rose et Prenez racines ! (2009/2016),* dans le quartier de Mermoz à Lyon avec la MJC Laënnec-Mermoz.
• Des oeuvres sont exposées à Vienne (Autriche) au Dom Museum.
• Exposition Le chant des forêts au Maif Social Club à Paris, et bientôt au centre d’art de la Terrasse, à Nanterre.
• Une publication récente, Déjeuner dans l’herbe,* grâce au soutien de la Fondation Antoine de Galbert et le FAR° à Nyon (Suisse), qui fait suite au projet Déjeuner dans l'herbe : pour un art commensal (2019/2021).
• Une publication scientifique co-écrite avec Yaël Kreplak, Gwenola Wagon et Alexis Guillier, des artistes, des enquêtes, des pratiques ingénieuses, 2020 (site openedition).
• Autre publication, ouvrage collectif issu d'une masterclass ,RUBIS-CO, 2018.
• A lire, un article, Thierry Boutonnier : artiste recherche la forêt, par Christelle Granja, décembre 2021 (site Socialter).
Thierry Boutonnier "L'enjeu, c'est de développer l'expérience réelle à travers un art arboricole, les pépinières urbaines, puisque la population mondiale est essentiellement, aujourd'hui, urbaine. L'idée de nature se réduit à un arbre qualifié "d'ornemental", donc pour redonner à cet ornement sa qualité d'être vivant qui nous inspire, tout l'enjeu, c'est de développer des ateliers arboricoles qui installent des coprésences et des covalences, qui, par l'intensité de cette présence partagée, ouvrent des dimensions spatio-temporelles qu'un enfant ou un adulte n'auraient jamais imaginées."
➢ A propos de Lauranne Germond
• Sa page sur le réseau Linkedin.
• Site de l'association COAL, co-fondée avec Loïc Fel.
• Page de présentation de son ouvrage co-écrit avec Loïc Fel et Joan Pronnier, Art écologique, paru aux éditions Palette, en 2021.
• A lire, un entretien avec Lauranne Germond sur la genèse du 1er prix COAL, en 2010, remis à... Thierry Boutonnier (site Openedition).
• A visionner, une rencontre avec Lauranne Germond, en juin 2019, qui retrace l'histoire de l'association COAL.
• A consulter aussi, le MOOC Art et écologie, cours en ligne gratuit ouvert à toutes et à tous qui propose un parcours thématique présentant les différentes pratiques écologiques à l’œuvre chez les artistes, de 1960 à nos jours.
Lauranne Germond "On sait que le monde s'effondre, on le ressent au quotidien et néanmoins on ne change pas nos comportements. Donc, cette question de la sensibilisation doit peut-être passer par les sens, au sens propre, ce qui n'est actuellement pas le cas des campagnes de sensibilisation justement. [...] Et donc qui, sinon les artistes ? En tout cas, ils font partie de ces membres de la société qui sont peut-être des experts en sensibilité et qui peuvent justement développer d'autres rapports au monde".
➢ A propos de Loïc Fel
• Sa page sur le réseau Linkedin.
• Page de présentation de son ouvrage, L'esthétique verte, paru aux éditions Champ Vallon, en 2009.
• Site de l'association COAL , co-fondée avec Lauranne Germond.
• Site de l'agence Influence for good, co-fondée par Loïc Fel.
• A visionner, une vidéo de Loïc Fel, Le meilleur moyen pour sauver le monde est l'art contemporain, conférence en juin 2021 (chaîne You tube Tedx Talks).
Loïc Fel "Les jardins des particuliers sur lesquels on va venir interroger des pratiques d'arrosage, sont des sujets fondamentalement importants, parce que c'est par ces gestes et ces sujets, perçus comme modestes dans notre société que passe le changement ou la réussite de la transition écologique. Et le fait que ce soit l'artiste qui intervient permet de porter une dimension qualitative ou une attention particulière à des sujets modestes, et, justement, ce contraste entre l'aspect patrimonial un peu socialement prévalorisé de l'art, appliqué au sujet modeste, permet de lui redonner de l'importance et de participer à cette transition écologique."
Loïc Fel, à propos de COAL "On a eu beaucoup de mal à choisir un nom, mais celui-ci (COAL) a retenu notre attention parce que c'est aussi la mine de charbon et la référence au lien entre ce vivant qui a été finalement composté pendant des millions d'années, qui est une source d'énergie, de pollution, mais aussi la source de dessins et de beaucoup d'œuvres."
Loïc Fel (COAL) "Tout l'enjeu était de réussir à avoir quelque chose d'assez large pour accueillir toute la diversité des pratiques, tout en identifiant les grands traits les plus récurrents. Donc, il n'y a pas de hiérarchisation dans ces critères, mais, bien sûr un attachement particulier à la qualité artistique des projets, à l'ambition esthétique, mais aussi une attention à l'exactitude des informations. Trop souvent, on voit des pratiques artistiques qui cherchent à apporter un regard sur l'écologie, mais qui sont scientifiquement erronées. On considère comme étant effectivement plus favorables d'avoir des démarches collectives ou participatives avec les publics, et une attention aussi aux moyens qui sont engagés dans la mise en œuvre de leurs œuvres, avec une démarche d'écoconception et enfin un attachement à l'effet induit auprès des publics."
Extraits musicaux