Avant-propos de Charles Pépin
Je voudrais vous raconter l’histoire de l’écriture, ou plutôt, l’histoire d’une femme. C’est une femme qui cherche à écrire quelque chose de difficile, elle cherche à dire quelque chose qui est dur à entendre, que peut-être nous ne voulons pas entendre, peut-être d’ailleurs que cette chose on ne peut pas la dire vraiment, qu’on ne peut qu’échouer à la dire mais que justement, il faut essayer, essayer encore, et que c’est ainsi que le livre prend, que le livre prend forme, que le livre prend corps, qu’il commence à se tenir - au fond, si on pouvait le dire, est-ce qu’il y aurait un livre ?
Alors elle essaie, elle cherche, elle écrit des phrases et des phrases, des pages et des pages mais ce n’est pas ça, ce n’est toujours pas ça et puis un jour, il y a cette phrase, cette phrase qui donne le la, voilà, ce sera la première phrase, cette note maintenant il va falloir la tenir et c’est ça qui va faire le livre, que la note soit tenue. Que tout le reste suive, comme nécessairement, impérieusement, qu’il y ait quelque chose d’implacable dans la manière dont le reste suit. Ca se joue à rien, finalement, que cette note soit tenue ou qu’elle ne le soit pas. Mais c’est peut-être ce rien qui fait la littérature, cette note tenue, cette cohérence, cette fidélité pourrait-on dire - on dit souvent d’un auteur, d’une auteur qu’elle a une voix, reconnaissable entre mille, mais elle a aussi une oreille, autrement comment saurait elle si la note est tenue ? Et son oreille est sa boussole, jusque dans la solitude, jusque dans l’incompréhension, jusque dans le vacarme des opinions et des discours, jusque dans le tumulte de la communication. Bien sûr parfois elle doute, comme tout le monde.
Au fond, que peuvent vraiment les mots ? Que peuvent vraiment les livres ?
Au fond, que peuvent vraiment les mots ? Que peuvent vraiment les livres ? Peuvent-ils consoler, réparer ? Le doivent-ils ? Peuvent-ils au moins dire le réel, nous permettre de l’entendre, d’entrer simplement en contact avec lui, de le toucher, de le sentir ? Et si la littérature nous permettait, quand la note justement est tenue, de comprendre cela même que nous ne réussissons pas à expliquer ?
Pour en parler ce matin, j’ai la joie de recevoir Christine Angot, écrivaine, romancière, dramaturge, Prix Medicis pour son dernier roman, le si puissant Voyage dans l’Est, Christine Angot, auteure d’une vingtaine de livres, qui nous a rejoint sous le soleil de Platon, dans la caverne de France Inter, pour nous aider à répondre à cette belle et difficile question. Que peuvent vraiment les mots ?
Son dernier roman « Le Voyage dans l’Est », aux éditions Flammarion, est sorti le 18 aout 2021**. Ce roman a obtenu le prix Médicis en octobre 2021 et le prix des Inrockuptibles en novembre de la même année.**
