En 2030, les personnes de plus de 65 ans seront plus nombreuses que les moins de 20 ans. La dépendance des personnes âgées est donc un véritable enjeu de santé publique. Une question d'attractivité également puisque les besoins de recrutement sont importants, pour des professions souvent perçues comme pénibles et mal rémunérées.
Aujourd'hui, pour les seniors en perte d'autonomie, deux solutions sont majoritaires en France : aller dans un Ehpad ou rester vieillir chez soi. La France compte 7 517 établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes accueillant 606 400 résidents qui se répartissent entre des structures publiques et des établissements privés commerciaux. En juillet 2021, Brigitte Bourguignon, la ministre déléguée chargée de l’Autonomie résumait l’objectif du gouvernement pour le grand âge : "Que vieillir chez soi devienne la règle et l’Ehpad l’exception". Pour l’instant le compte n’y est pas. Pourtant, entre 80%-90 % des français souhaitent vieillir chez eux...
Les Ehpad
Mercredi, le journaliste Victor Castanet a publié un livre "les fossoyeurs", le fruit d'une enquête de trois ans au sein du groupe Orpéa, le leader français des maisons de retraite. Manque de personnels, défauts de soins apportés aux patients, selon lui, Orpéa se serait lancé dans une course au profit. En près de trois ans d’enquête, Victor Castanet a rencontré 250 personnes, enregistré plus de 200 témoignages, déniché des rapports confidentiels et des courriels internes. Depuis la publication du livre, les candidats à l'élection présidentielle se sont emparé du sujet et ont multiplié les propositions autour de la question de la dépendance des séniors. Le directeur général du groupe, Jean-Christophe Romersi est convoqué le premier février par la ministre déléguée chargée de l'autonomie, Brigitte Bourguignon. De son côté, l’agence régionale de santé d’Ile-de-France a mené une inspection vendredi dans l’établissement d’hébergement pour personnes âgées dépendantes du groupe Orpea de Neuilly-sur-Seine dont les pratiques ont été dénoncées dans le livre.
Les maisons de retraite privées sont régulièrement au cœur de scandale en France, déjà épinglées dans un reportage d'Envoyé Spécial en 2018. Elles sont insuffisamment contrôlées, regrette la Défenseure des droits Claire Hédon dans un rapport de 2021. Dans le document, Claire Hédon dénonce notamment le manque des moyens pour effectuer les inspections, mais aussi l'absence de bases communes pour ces contrôles.
Les inspections dans les maisons de retraite sont principalement menées par les ARS (Agence régionale de santé), et les conseils départementaux. La Direction générale de la concurrence de la consommation et de la répression des fraudes, mène aussi des vérifications dans les maisons de retraite, pour s'assurer de l'absence de clauses abusives dans les contrats. En 2017 et 2018, l'organisme a ainsi contrôlé 549 établissements, ce qui a débouché sur un rappel à la loi pour deux structures sur trois.
Une troisième voie entre l'Ehpad et vieillir chez soi, les "habitats inclusifs"
Cohabiter entre seniors, plutôt que de vieillir esseulé chez soi ou d’aller en maison de retraite, reste une exception en France. Seules 4 000 personnes âgées vivent au sein de ce que la loi ELAN de 2018 appelle un "habitat inclusif". Après une première enveloppe de 20 millions l’an dernier, issue du « Ségur de la Santé », les « résidences autonomie », des solutions intermédiaires entre l’Ehpad et l’aide à domicile, bénéficieront de 45 millions d’euros par an en 2022, 2023 et 2024. C'est ce qu'a détaillé Brigitte Bourguignon fin janvier. Ces sommes s’ajouteront aux 10 millions également versés l’an dernier par l'assurance retraite qui seront reconduits cette année. Sur 45 millions, 37,5 millions iront aux « résidences autonomie » et 7,5 millions à des solutions d’« habitat inclusif », qui permettent à des personnes âgées et handicapées de cohabiter dans un même bâtiment, avec le soutien d’animateurs et de bénévoles.
Des promesses et des lois pour financer la dépendance des personnes âgées
Depuis des années, la dépendance attend sa loi de financement. Malgré quelques avancées comme des revalorisations salariales, des créations de postes et de nouveaux investissements, le pouvoir actuel n’a pas dérogé à cette procrastination sur le plan législatif.
Emmanuel Macron avait promis en 2018 une loi sur la dépendance des personnes âgées. Ce projet a finalement été remisé dans les cartons au cours de son quinquennat. Le projet de loi «Générations solidaires», annoncé par le chef de l'État en 2019, qui devait apporter «une réponse globale extraordinairement ambitieuse» aux enjeux liés au vieillissement a lui aussi été abandonné. Quelques mesures pour le grand âge ont été votées dans le cadre du budget 2022 de la Sécurité sociale : quelque 400 millions d'euros pour le grand âge sont budgétés après la création de la 5e branche "autonomie" en 2020. Le 23 septembre, Jean Castex a annoncé de nouvelles mesures pour le grand âge et la dépendance. Selon lui, "20 % des postes d’aide à domicile sont aujourd’hui vacants » et « plus de 20 % des départements connaissent des difficultés pour couvrir intégralement leur territoire d’une offre d’aide à domicile". Le coût de ces mesures est estimé à 400 millions d'euros en 2022.
À partir du 1er janvier 2022, un tarif plancher national (et non plus départemental) de 22 euros par heure de prestation est créé pour les services d'aides à domicile. Le gouvernement a également annoncé la création de 10 000 postes de soignants dans les Ehpad d’ici 2025. Afin de revaloriser les métiers du grand âge et de renforcer leur attractivité, Jean Castex a rappelé qu’une revalorisation salariale interviendra le 1er octobre prochain. Les 200 000 professionnels de la branche de l’aide à domicile (BAD) verront leur salaire augmenter de 13 à 15 % en moyenne. Selon l’ancienneté et le statut de l’aide à domicile, cette augmentation peut atteindre 300 € brut par mois. Le gouvernement compte, par ailleurs, « sanctuariser des financements » dans le budget 2022 de la Sécurité sociale afin de « recruter d’ici 5 ans 10 000 personnels soignants supplémentaires dans des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes ».
Avant le vote du projet de loi de financement de la sécurité sociale 2022, trois avancées avaient été engrangées par le secteur : les revalorisations salariales des personnels des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad) en vertu des accords du Ségur de juillet 2020 ; l’augmentation des rémunérations des quelques 210 000 aides à domicile du secteur associatif ainsi qu’un plan d’investissement de 2,1 milliards d’euros d’ici à 2025 pour la rénovation et l’équipement matériel et numérique des Ehpad publics et associatifs.
Les candidats et leurs propositions pour le grand âge
Création d’emplois, allocations, soins… Les candidats à la présidentielle rivalisent de généreuses propositions pour les Ehpad. Tous suggèrent de renforcer le contrôle sur les maisons de retraite médicalisées et d’accroître les dépenses en faveur du grand âge. Mais aucun n’évoque le financement de long terme de la dépendance.
Le candidat de la France Insoumise, Jean-Luc Mélenchon soutient l’interdiction pure et simple des Ehpad privés lucratifs, le recrutement de 210 000 personnes et un ratio d’encadrement minimal de 0,6 (ce qui correspond à 60 soignants pour 100 résidents). Un coût qu’elle estime à 8 milliards d’euros, soit "deux ISF". Du côté du parti Communiste, Fabien Roussel se dit favorable à "un grand service public du grand âge", il propose d’exclure toute gestion à but lucratif, avec expropriation et placement des établissements sous tutelle en cas de "maltraitances avérées". Il souhaite créer, en seulement trois ans, 300 000 emplois en Ehpad et 100 000 aides à domicile, avec un ratio d’un soignant par résident. Yannick Jadot aborde l’enjeu de l’attractivité des métiers dans ces établissements. Le candidat écologiste proposera un ratio de 0,8 équivalent temps plein par résident (mais incluant les personnels administratifs), l’arrêt de toute création de places en Ehpad privés, le contrôle renforcé de ces établissements et, enfin, la revalorisation des carrières et métiers. Anne Hidalgo, dans son programme, avance des propositions du même ordre, quoique plus floues et sans objectifs chiffrés . La candidate LR, Valérie Pécresse, veut surtout encourager le virage domiciliaire de la politique du grand âge, qu’elle décrit comme une « révolution ». Quant à la candidate du Rassemblement national, Marine Le Pen, elle avait réclamé mardi la création d’une commission d’enquête parlementaire sur la gestion des Ehpad par les groupes privés. Sans parler de ratio, elle propose « un minimum » d’un médecin coordonnateur et d’une infirmière « vingt-quatre heures sur vingt-quatre » dans chaque Ehpad. Elle souhaite enfin porter la durée du congé des proches aidants à douze mois sur une carrière, avec indemnisation indexée sur le revenu, jusqu’à 100 % au niveau du smic. Interrogé mercredi sur Public Sénat, Eric Zemmour, embarrassé, a proposé de supprimer les agences régionales de santé et d’instaurer "un vrai contrôle de l’Etat sérieux" par le préfet. Le candidat d’extrême droite a ensuite rectifié en proposant d’« améliorer le contrôle en amont », lors de la délivrance des agréments, sans autre proposition.
La silver économie, troisième puissance de la planète
La prise en charge de la dépendance des personnes âgées (soins, aides humaines et techniques, hébergement) est évaluée à 30 milliards d’euros par an (dont 25 milliards de dépenses publiques). D’ici à 2030, l’effort d’investissement supplémentaire est évalué à 9,2 milliards d’euros par an. La silver économie, c’est-à-dire l’ensemble des marchés, activités de services et ventes de produits liés aux personnes de plus de 60 ans, représente aujourd’hui environ 8 040 milliards d’euros par an en agrégeant l’Allemagne, le Royaume-Uni, la France et l’Italie. Ce qui, virtuellement, en fait l’équivalent de la troisième puissance économique de la planète, derrière les États-Unis et la Chine, selon Natixis. Ce mastodonte pourrait atteindre 24 500 milliards de dollars d’ici à 2050.