Contrairement à ce qu’on raconte souvent, Einstein n’a jamais prétendu que la physique quantique fut une théorie fausse. Il louait sans réserve son efficacité opératoire, mais il est vrai qu’il y avait un mais : aux yeux d’Einstein, une théorie physique ne doit pas être jugée à la seule aune de son efficacité opératoire : elle doit également dépeindre les structures intimes du réel tel qu'il existe indépendamment de nous, ce qu’on appelle "la réalité objective". Or, à ses yeux, la physique quantique, malgré ses spectaculaires et incontestables succès expérimentaux, ne faisait pas bien cela.
On ne peut généralement prédire le résultat d'une mesure faite sur un système physique mais seulement calculer les probabilités quant à un résultat.
Tout d’abord, la théorie quantique stipule que, connaissant l'état d'un système physique, on ne peut généralement pas prédire le résultat d'une mesure faite sur lui, mais seulement calculer les probabilités d'obtenir tel ou tel résultat : parmi tous les résultats possibles a priori, un seul est sélectionné, au hasard, par l’opération de mesure. Pour le dire autrement, un système quantique dispose de davantage d’options, pour ce qui est des valeurs de ses propriétés physiques, que celles qui se manifestent à l’issue d’une mesure. Et, chose étrange, cette "réduction des possibles" engendrée par la mesure s’effectue d’un coup de façon aléatoire. Or, selon Einstein, une bonne théorie physique se doit d’éliminer le hasard, sinon de ses constructions, du moins de ses principes. Il écrivit en 1940 :
"Quelques physiciens, au rang desquels je me situe, ne peuvent croire que nous devons abandonner, maintenant et à jamais, l’idée d’une représentation directe de la réalité dans l’espace et le temps ; ou que nous devons accepter cette vue selon laquelle les événements de la nature sont analogues à un jeu de hasard (1)".
Ensuite, comme déjà suggéré dans cette citation, Einstein tenait au réalisme "ordinaire" des physiciens : la physique se doit de défendre l'idée d'un monde réel dont les plus minuscules parcelles existent objectivement, au sens où existent les cailloux et les chaises, que nous les observions ou non. Or, Einstein constatait que ce réalisme-là est laissé de côté par la physique quantique. Il voulut donc démontrer qu’il existait des éléments de réalité que cette théorie n’appréhende pas, ce qui constituerait la preuve qu’elle ne nous dit pas tout ce que nous devrions pouvoir savoir de la réalité physique. (...).
(1.) Albert Einstein, Comment je vois le monde, Paris, Flammarion, 1979, p. 127.
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