Le 13 mars 2022 l'Argentine annonçait la suspension de ses exportations de farine et d’huile de soja, dont le pays est le premier exportateur mondial. Une semaine plus tard la nouvelle, tant redoutée par le secteur, tombait : hausse de 30% des taxes à l’exportation. Dans un contexte de forte inflation et d’endettement structurel, la filière du soja, dont les cours sont au plus haut du fait de la guerre en Ukraine, fait miroiter une rente commerciale inespérée pour la fragile économie argentine. Voilà près de vingt ans que le pays s’est peu à peu converti à la culture de “l’or vert” comme on l’appelle. Un secteur extrêmement rentable à l’export d’autant que les pousses de soja, génétiquement modifiées, sont particulièrement productives.
De l’autre côté de la frontière, au Brésil, le soja prospère tout autant. Largement portée par le lobby de l’agrobusiness, la production y est passée de 37 millions de tonnes en 2000 à 137 en 2020 tandis que les surfaces cultivables continuent de s'agrandir d’années en années.
Mais l’envers de la médaille n’est pas négligeable. Déforestation, monoculture, épuisement des sols, impact sanitaire et social… La culture du soja peut-elle tenir à long terme ? Le modèle agricole sud-américain, basé sur d’énormes exploitations pratiquant la culture intensive, est-il si rentable que cela ? Quels liens entre milieu agricoles et pouvoirs politiques ? Quelle réflexion pour ne pas tomber dans le piège de la dépendance au soja ?
Mélanie Chalandon reçoit Valéria Hernandez, chercheuse à l’Institut de Recherche pour le Développement, au Centre d’Études en Sciences Sociales des Mondes Africains, Américains et Asiatiques (UMR CESSMA) et Pierre Gautreau, géographe et professeur des universités à l'université Paris 1 Panthéon-Sorbonne.
"L’expansion de la culture du soja en Argentine s’est faite sur des zones extra-pampéennes avec des conditions agronomiques au niveau du sol et en matière de biodiversité qui n’étaient pas adaptées pour recevoir des cultures agro-industrielles" explique Valéria Hernandez.
"Si en Argentine le soja émerge à la fin des années 90 à la faveur du transgénisme, au Brésil le soja est une véritable aventure nationale : il se développe dans les années 60 dans le sud du pays et, grâce à un travail agronomique, il va progressivement s’étendre vers le nord" observe Pierre Gautreau.
Le focus du jour
Uruguay : Quand la filière argentine du soja s’exporte
En Amérique du Sud, le développement de la culture du soja ne s’est pas limité au Brésil ou à l'Argentine. Au début des années 2000, l’Uruguay, frappé par une crise économique qui touche toute la région, décide de mener une politique libérale pour attirer les capitaux étrangers et relancer son économie. Les acteurs agricoles argentins vont alors abonder pour investir dans le foncier et développer une véritable filière soja en Uruguay. Mais si la culture de cette « plante sacrée », selon les mots de l’ancien président uruguayen José Mujica, a permis d’enrichir le pays et de financer des politiques sociales à destination des ménages les plus défavorisés, elle a également généré une augmentation du prix du foncier dont pâtissent les petits producteurs, ainsi que des problèmes environnementaux qui questionnent la durabilité de cette filière.
Avec Maëlle Gedouin, docteur en agriculture comparée à AgroParisTech et au Centre de coopération internationale en recherche agronomique pour le développement (CIRAD).
"Si le soja a généré des problèmes environnementaux, toute la manne financière liée à son exploitation a permis à l’Uruguay de relancer son économie et de financer des politiques sociales : des politiques de construction d’habitations en milieu rural, d’accès à l’alimentation, de santé…" analyse Maëlle Gedouin.
Références sonores
- Ezequiel de Frero, le chef économiste de la Sociedad Rural Argentina (La société rurale d’Argentine), défend en l’utilisation d’OGM (RFI, 28 février 2019)
- Le ministre de l’agriculture argentin Julián Domínguez annonce l’augmentation de la taxe à l’export concernant le tourteau de soja ainsi que l’huile de soja (Ministère de l’Agriculture argentine, 19 mars 2022)
- Marcos Giacomoni, responsable d’une coopérative agricole dans la localité de Pujato en Argentine, déplore la hausse des taxes à l’exportation et le fait qu’il n’y ait pas d’agro-dollar qui permette aux agriculteurs de faire face à l’inflation galopante (RFI, 26 mai 2022)
- A Chabás, dans la province de Santa Fe, le maire Lucas Lesgart se bat contre l’utilisation de pesticide. (Extrait du reportage « Argentine : les pionniers de l’après-glyphosate », Arte, 15 septembre 2018)
- En janvier 2021, une passe-d’armes entre Emmanuel Macron et Jair Bolsonaro avait lieu au sujet de l’exploitation de soja et sa conséquence directe : la déforestation de l’Amazonie (L’Obs, 15 janvier 2021)
Références musicales
- « A hundred ligts » de Christian Löffler (Label : Ki records)
- « Camino de Posguerra ft. Sara Hebe » du groupe argentin Chancha Via Circuito (Autoproduit)