Dans le Nord, entre Lens et Béthune, au bout d’une route abandonnée, l’usine et les quelques employés qui restent sont livrés à eux-mêmes, sans personne à l'horizon.
La plupart des casiers sont vides, ouverts, fracassés. Tout le monde est parti comme des voleurs, comme si l’usine s’était arrêtée en un instant. C’est presque un atelier mort. C’est très lugubre. […] À chaque fois qu’on passe par ici, on a des frissons.
L’usine Maxam Tan, dont le site a été ouvert en 1897, a fermé. Le 26 octobre dernier, l’usine est entrée en redressement judiciaire après la cessation de paiement. Le groupe a abandonné ses employés, qui demeurent livrés à eux-mêmes. Seule demeure une soixantaine d’entre eux, qui occupe l’usine sans travailler.
Virginie travaillait dans l’administration. Elle a bien remarqué les problèmes financiers dès janvier 2020. Les retards de paiements se sont multipliés, la direction a disparu et la crise sanitaire a rendu les choses encore plus floues.
C’était bien une volonté de leur part […] Maxam a tout fait pour fermer l’usine.
Une fermeture qui ne s'explique que par un défaut de rentabilité :
Juste pour une histoire de profits, on vient nous fermer comme ça. Il y a beaucoup d’injustices.
Le problème, c’est que le site est classé Seveso. On y produit du nitrate d’ammonium, un explosif très puissant. En abandonnant l’usine, l’entreprise a laissé des tonnes d’ammoniaque pur dans une cuve.
Stéphane souligne les dangers qu’une telle cuve représente : des habitants résident aux abords de l’usine, et une fuite serait fatale. Le parallèle avec l'explosion qui a ravagé Beyrouth en août 2020 est fait. Face à l'enlisement de la situation, l'incompréhension règne.
On est des salariés plutôt très sages, très écoliers. On a toujours montré notre exemplarité.
Un salarié fait exploser un pétard : une petite « plaisanterie ».
Aujourd’hui on est livrés à nous-mêmes, c’est un drame absolu.
Olivier, lui, est chef de fabrication depuis vingt-et-un ans. Il est entré à l’usine en mars 1997. Selon lui, il est nécessaire que les politiques agissent réellement pour fermer le site en bonne et due forme.
On le vit très mal. Il y a des hauts et des bas. Aujourd’hui, on a essayé avec nos moyens de faire bouger les choses sur site, que ce soit lors de manifestations locales, d'interpellations de politiques, de réunions en préfecture ou sous-préfecture… Pour l’instant ça ne paye pas.
Les quelques employés qui occupent les lieux continuent de prendre soin de l’usine, histoire d’éviter la catastrophe :
Les appareils sont contrôlés régulièrement. On n'a pas de soucis de sécurité ici, sauf le personnel, qui pourrait devenir un souci. Si on n’a plus personne sur site, en vingt-quatre heures ce sera le bordel.
La menace ne pèse pas seulement sur le voisinage civil, mais aussi sur des vies et des carrières prêtes à se briser : un des employés considère l’usine comme « une deuxième maison ». Depuis des mois, les résistants se serrent les coudes :
Où on va ? Neuf mois… Pour accoucher de quoi ? De rien. Humainement, c’est impossible à vivre. On survit parce qu’il y a de la solidarité, de l’entraide, de la bonne ambiance entre nous. […] Mais certains y ont laissé des plumes.
Il y a la crainte de ne pas pouvoir rebondir ou se réorienter, surtout à deux ans de la retraite, après des décennies d’ancienneté.
Maxam laisse délibérément les choses pourrir depuis plusieurs mois.
**En janvier dernier, la situation a empiré : des toiles, ces pièces essentielles au fonctionnement de l’usine, et très chères — car faites de métaux précieux — ont disparu. Leur revente devait financer les indemnités des ouvriers et employés… **
Non seulement on se fait poignarder dans le dos par notre direction, mais aussi par des collègues. Ça fait mal.
Reportage : Rémi Dybowski-Douat
Réalisation : Cécile Laffon
Merci à Lionel, Virginie, Stéphane, Olivier et aux salariés de Maxam.
Musique de fin : "Agades - Désert", Erik Truffaz et Thibault Cauvin - Album : Cities, 2018 - Label : Sony Classical.