René Tardi était en colère. Après quelques jours de combats aux commandes de son char au printemps 1940, il avait été fait prisonnier et envoyé au Stalag II B, en Poméranie (dans l’actuelle Pologne) où il avait passé toute la guerre. En colère contre l’armée, contre la guerre, contre ses chefs, contre cette humiliation de la défaite, et contre le sort réservé à leur retour à ces 1,8 millions de prisonniers de guerre que personne ne voulait voir.
En dépit de cette colère, il ne quitte pas l’armée, et le voilà envoyé en Allemagne, en 1946. Il emmène avec lui sa femme Henriette et leur fils vient de naître.
Il faut comprendre que ces types là, quand ils sont rentrés, ils ont la plupart du temps été tenus pour responsables de la défaite. Mais mon père estimait que l'état-major était responsable.
C’est dans ce pays vaincu, occupé, et en pleine reconstruction que grandit le petit Jacques. Il y découvre ses premières bandes dessinées et passe de longues heures solitaires à dessiner. Bien vite, il retourne en France où il est élevé par ses grands-parents maternels. Les récits de guerre de son grand-père - la première guerre mondiale, cette fois, celle des tranchées - impriment dans sa mémoire des images indélébiles.
A seize ans, après une scolarité chaotique, Jacques Tardi fait son entrée aux Beaux-Arts de Lyon, bien décidé à devenir peintre. Après quelques années d’enseignement académique « à l’ancienne », dont il ne réalisera que plus tard à quel point il avait été formateur, il est admis aux Arts décoratifs et arrive à Paris.
Pendant les trois premières années on faisait du nu, du croquis et puis des épreuves d'études documentaires. On apprenait à rendre des effets de reflets dans un verre en cristal, à l'aquarelle ou avec un crayon gras. Il fallait que tout ça ait l'aspect d'une planche de encyclopédie. C'était ennuyeux mais tout cela était très formateur.
En cette fin des années 60, la France est en effervescence ; la bande dessinée aussi. Très marqué par les aventures érotico-oniriques de Barbarella (Jean-Claude Forest) ou de Jodelle (Guy Peellaert), et aiguillé par ses camarades Ricor et Mulatier, Jacques Tardi pousse en 1970 la porte du journal Pilote, dirigé par René Goscinny.
L’aventure peut commencer !
Une série d'entretiens proposée par Victor Macé de Lépinay, réalisée par Rafik Zénine. Prise de son Fabien Gosset. Attachée de production : Daphné Abgrall. Coordination : Sandrine Treiner.
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