Le 23 mars dernier, les images de l’Ever Given, ce porte-conteneur coincé en travers du canal de Suez, faisaient le tour du monde. Durant près de six jours, ce navire géant, long de 400 mètres et haut comme un immeuble de vingt étages aura provoqué un véritable embouteillage du trafic maritime mondial. Les pertes se chiffrent à près de 15 milliards de dollars par jour, sans compter les 900 milliards de dollars de dédommagement que réclame désormais l’Egypte à la compagnie. Des chiffres qui mettent en lumière l’importance capitale du trafic maritime dans le commerce mondial. Si 80% des marchandises transitent par la mer, c’est parce que les porte-conteneurs sont de loin les plus sûrs et les plus rentables des modes de transport.
Depuis leur invention par l’américain Malcom McLean dans les années 50, puis leur généralisation à l’ensemble de la planète, leur coût n’a cessé de baisser et leur volume d’augmenter. Car là réside le secret du succès des porte-conteneurs : augmenter toujours plus leur capacité de charge, celle-ci a été multipliée par quatre en vingt-cinq ans. Une course difficile à suivre pour les points de passage comme le canal de Suez, mais aussi les ports, qui doivent sans cesse s’adapter pour accueillir ces mastodontes.
Comment les compagnies de transports ont-elles peu à peu imposé leurs normes aux autres acteurs du commerce maritime ? L’épisode du canal de Suez est-il l’occasion d’une prise de conscience sur les risques et les limites de la taille de ces géants ? Quelles régulations sont possibles dans ce marché qui sait si bien faire jouer la concurrence ?
A la fin des années 90, les armateurs ont décidé de s’affranchir de la norme Panamax, c’est-à-dire qu’ils ont choisi de construire des porte-conteneurs qui ne pourraient plus passer par le canal de Panama puisque leur largeur serait plus grande que les écluses du canal. Donc, à partir de 1988, on est passé à des navires qui avaient une capacité de transport supérieure. A partir de ce moment-là, il y a eu la poursuite de cette tendance lourde de la recherche d’économie d’échelle. Antoine Frémont
Les armateurs sont à la source des changements portuaires. Ce sont aux États de s’adapter ou de dire qu'ils n'agrandiront pas leurs infrastructures. Olaf Merk
Le Forum International du Transport à l’OCDE a publié en 2015 un rapport sur l'impact des mega-navires, consultable ici_. _
Seconde partie - le focus du jour
Covid : les marins bloqués en mer
Depuis mars 2020 et la fermeture des frontières liée au Covid-19, des milliers de marins - tous les travailleurs sur un navire - sont bloqués en mer, interdits de descendre de leur navire et dans l’incapacité de rentrer chez eux. Au plus fort de la crise, on comptait 400 000 personnes dans cette situation. S’ils sont aujourd'hui 200 000 environ, c’est qu’un grand nombre a pu être rapatrié par leurs Etats. Les relèves sont encore difficiles à mettre en place, les marins sont donc bien souvent sur leur bateau pendant plus de onze mois, la durée réglementaire d'une mission. Une crise qui met en lumière le droit du travail complexe et la dégradation des conditions de travail des marins.
La situation est très inégale en fonction des marins et de leur nationalité, puisque ces blocages découlent à la fois de la fermeture des aéroports, de vols qui ont été annulés et qui continuent de l’être. Puis, la coordination est difficile entre les acteurs du transport maritime, à savoir les armateurs, les sociétés de gestion, les États du port, les États du pavillon et de la nationalité des marins, puisque le droit à la mobilité est inégale en fonction des nationalités. Claire Flécher
_Une émission préparée par Bertille Bourdon. _
Références sonores
- Guy Platten, de la Chambre internationale de la marine marchande, expliquait fin mars dernier que l’embouteillage causé par l’Ever Given avait de lourdes conséquences sur le commerce mondial. (LCI, 25 mars 2021)
- Yukito Higaki, président de Shoei Kisen KK, présentait fin mars dernier ses excuses concernant le porte-conteneur Ever Given dont ils sont l’armateur. (Devon Live, 27 mars 2021)
- Osama Rabie, responsable de l'Autorité du Canal de Suez, évoque un « miracle» suite au déblocage du canal (Africa News, 02 avril 2021)
- Extrait d’un reportage de France 3 Aquitaine dans lequel Monsieur Gilbert, transporteur maritime, décrivait les avantages liés à l’apparition du conteneur dans le port de Bordeaux en juillet 1970. (Archive INA, reportage de Jean-Philippe Roussy, 02 juillet 1970)
- En 2017, le port d’Abidjan voyait ses capacités d’accueil s’agrandir. Voici ce qu’en disait Hien Yacouba Sié, le PDG du port autonome d’Abidjan ainsi Zhibin Zhang, coordinateur des travaux sur place pour le compte de la China Harbour Engineering Company. (Euronews, 29 novembre 2017)
- Maharshi Joshi, capitaine d’un cargo indien, relate les difficultés rencontrées par son équipage dont certains membres étaient restés plus de douze mois à bord, conséquence de la crise du Covid. (France 2, 1er août 2020)
Références musicales
- « Photon » de Pantha du Prince & The Bell Laboratory (Label : Rough Trade)
- « Slow boat to China » de Fats Domino (ABC Paramount)