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Philosophie de la déprime

Géraldine Mosna-Savoye
Diffusé le lundi, 09 novembre 2020 (4 min)


Moins belle que le spleen, moins grave que la dépression, moins intellectuelle que l'angoisse... quelle est la valeur philosophique de la déprime ?


   
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Carnet de philo

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  • Envie de rien, besoin de personne, vague à l’âme, ennui à ne rien faire, fatigue à l’idée de faire quoi que ce soit, voilà à quoi ressemblait mon dimanche. Autant le dire, c’était la déprime… Je pourrais mettre ça sur le compte du dimanche, de l’automne ou du confinement. Mais non.

    Après tout, Joe Biden a finalement été élu Président des Etats-Unis, ma famille est en bonne santé, je n’ai pas eu de chutes d’hormones dû à un accouchement récent, pas de dépression ni aucune pathologie d’ailleurs, pas de ruptures ni de deuils, et encore moins un caractère sombre, quoique, c’est vrai, fréquemment anxieux.

    Alors, d’où m’est venue cette déprime qui ne s’explique par aucune cause, aucune origine extérieure à elle-même ou propre à moi-même ?
    D’où vient qu’indépendamment du temps qu’il fait, des nouvelles (bonnes ou mauvaises), de la santé ou des événements d’une vie, nous pouvons ressentir la déprime ?
    D’où vient cette sensation d’affaissement, ce sentiment de démoralisation, alors que, sur le papier et même en vrai, tout va bien ?

    Tentative d'approche philosophique

    On pourrait y voir des questions de développement personnel. Je suis, hélas, trop pessimiste et pas assez progressiste pour ça. Mais, c'est vrai : parler “déprime”, c’est s’engager d’emblée du côté psychologique de la chose, c’est vouloir pénétrer dans sa tête et résoudre le problème comme s’il s’agissait seulement d’une pathologie individuelle.

    Pourtant, et c’est toute ma question aujourd’hui : pourquoi ne pas considérer la déprime comme un phénomène en tant que tel ? Comme une passion triste à la manière éthique d’un Spinoza ? Comme un concept à la manière d’un Kierkegaard avec l’angoisse ? Ou comme un symptôme existentialiste à la manière d’un Sartre avec la nausée ?

    En fait, en ressentant cette déprime, hier, du réveil au coucher, je me suis demandée pourquoi il fallait forcément la disqualifier philosophiquement, en la soignant avec des remèdes bien-être ou en la traitant uniquement avec psychologie.

    Car la déprime ne se soigne pas justement. Mais elle n’est pas rien non plus, elle active paradoxalement une forme de paralysie, elle empêche les causes de bien-être de produire un effet de bonheur. De là à en faire une philosophie… Est-ce suffisant ?

    Déprimante déprime

    Ce qui est intéressant avec la déprime, c’est qu’elle ne révèle rien du réel ou de notre existence, comme la nausée chez Sartre ; ce qui est intéressant aussi avec la déprime, c’est qu’à la différence du spleen de Baudelaire, vous ne pouvez rien en faire, ne comptez pas sur elle pour écrire des poèmes ou des chansons, elle est beaucoup trop inconsistante et éphémère pour ça ; et enfin, elle mérite ni médicaments ni séances de psy ni éthique comme la dépression ou la tristesse, car, hélas, la déprime n’est pas aussi grave que ça.

    Le problème de la déprime n’est pas seulement de désarticuler les causes du bien-être de son effet ressenti, mais d’être également moins frappante, moins belle, moins intéressante que tout autre sentiment de mal-être.
    La déprime est pile ce sentiment qui vous fait vous sentir nul, sans toutefois contenir en elle l’essor pour la sublimer. Vous ne pourrez jamais en tirer quoi que ce soit ni vous sentir fort, grandi, meilleur, en sortant d’une déprime.

    Dans ses Passions de l’âme, Descartes voyait la passion comme l’envers nécessaire de l’action. Mais s’il s’était trompé avec la déprime ?
    Et si la déprime n’était rien d’autre que le sentiment-même de l’affaissement de soi, sans aucune action possible ni aucune prétention à nous distinguer ?
    Hier soir, j’en suis donc arrivée à cette triste conclusion : et si la déprime avait ce seul mérite de nous pousser à revoir nos grandes théories sur le pouvoir des passions ?

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