Dans « Nos Géographies », ce soir, il sera question de nourriture. Nombreux sont les écrivains, philosophes, penseurs de tous temps à s’être intéressés à la fonction si naturelle, triviale, certes, mais vitale de manger. La nourriture est langage, elle est acte social par lequel un peuple, une société se présente au reste du monde ou s’en défend. Elle est éminemment culturelle, cultuelle la plupart du temps, au moins dans ses origines, confrontée à des évolutions constantes. La nourriture est politique et même géopolitique. Notre invité, Gilles Fumey, professeur de géographie culturelle, chercheur à l’unité mixte de recherche du CNRS-Sorbonne « Identités, relations internationales et civilisations de l’Europe », va nous le démontrer.
Au XIXe siècle [...] la France en a terminé avec l'insécurité alimentaire grâce à l'introduction de la pomme de terre quelques décennies auparavant. Ce siècle marque une nouvelle étape, les humains - du moins les occidentaux - vont pouvoir penser à ce qu'ils mangent sans avoir le souci de savoir ce qu'ils vont manger.
Le produit totem de la région d'où je viens, le Jura, c'est le comté. J'ai découvert très tôt à l'école primaire que le comté pouvait être une division administrative, un fromage mais aussi le nom d'une région. Je me suis mis à collectionner quelques étiquettes de vins de Bourgogne, de Bordeaux que je plaçais sur des cartes. Je me suis fait une géographie qui m'a très tôt permis d'associer ce que je voyais sur la carte à ce que je mangeais.
Le repas a une fonction de célébration, une fonction sociale. Ce qui est le plus important dans le repas, ce n'est pas tant ce que l'on mange que le contexte dans lequel on mange. Le repas c'est la célébration, c'est la rencontre. [...] La table c'est une géographie : il y a un centre, des périphéries ; il y a une géopolitique de la table : c'est ce qui rend le moment assez fort sur le plan social.
Le deuxième pays dans le monde qui s'aime autant à table que la France, c'est la Chine. Il y a une correspondance : la France et la Chine sont fondamentalement des pays de paysans. Le repas du dimanche à table, c'est le repas des gens qui ont travaillé dehors toute la semaine et qui le dimanche s'aiment à table pour refaire le monde.
L'idée selon laquelle nous devrions absolument manger le matin est une conception complètement erronée. Les nutritionnistes le disent : le matin, dès le réveil, nous sécrétons l'hormone du stress - le cortisol - grâce à laquelle, pendant les trois heures qui suivent notre levé, le corps n'a besoin de rien.
Il y a un véritable travail qui est fait dès l'enfance pour aider les nouvelles générations à savoir ce qu'est la nourriture, ce que sont les potagers. Et puis, surtout, il y a une vraie exigence de la part des consommateurs pour améliorer leur alimentation, notamment en milieu public.
Extraits musicaux et lectures
Lecture : extrait de L'Assommoir - d'Emile Zola, 1877.
Lecture : extrait de Tableaux de La Nature ou considérations sur les déserts, sur la physionomie des végétaux, et sur les cataractes de L'Orénoque - d'Alexender Von Humboldt, 1808.
Lecture : extrait de Bel ami - de Guy de Maupassant, 1885.
Chanson : " Né Quelque Part " par Ayo - Album : Royal (2020) - Label : Wagram Music / 3ème Bureau.
Chanson : " Twistin in the kitchen " par Sam Cook - Album : Twistin' the Night Away (1962) - Label : RCA/Legacy.
Musique de fin d'émission : " Capitaine Fracasse " par Chapelier Fou - Album : Scandale ! (2009) - Label : Ici d'ailleurs.
Lecture : La cuisine - poème de Maurice Carême, lu par l'auteur.
Pour en savoir plus
La page et le CV de Gilles Fumey sur le site Sirice (Sorbonne, Identités, Relations Internationales et Civilisations de l'Europe).
Articles de Gilles Fumey sur le site Cairn.info
Être né quelque part
J'ai un petit accent entre la France de l'est et la Suisse ; en Franche-Comté exactement. J'ai vécu mon enfance avec mes parents, mes grands-parents. Très tôt, j'ai eu l'envie de partir, de venir à Paris en particulier. Les fondements de notre attachement à un lieu vont déterminer une partie de notre biologie. Vivre à la campagne dans les années 50, ce n'est pas du tout la même chose que vivre aujourd'hui dans une ville industrielle.
