Une édition certes un peu différente des précédentes éditions, sans doute dans sa forme, mais tout aussi riche et variée autour d'un thème fort, les climats. Nous vous avons proposé la semaine dernière, les regards croisés de géographes sur l'épidémie de Covid-19, tels qu'ils ont été rassemblés et seront présentés dans ces journées. Ce soir, nous partons à l'horizon des migrations. Nos deux invités, François Gemenne et Lucie Bacon, par des voies différentes et à bonne distance des discours politiques si souvent réducteurs, explorent la diversité des parcours de migrants en prêtant attention à leur complexité. Pour l’un, à la transformation des frontières sous l’effet de la mondialisation et du changement climatique, pour l’autre, aux stratégies mises en place par les femmes et les hommes engagés sur une route semée d’obstacles, en rappelant aussi des vérités parfaitement vérifiables et pourtant obstinément inaudibles.
Lucie Bacon, doctorante en géographie Laboratoire Migrinter (CNRS), Poitiers et Laboratoire Telemme, université Aix-Marseille. Elle achève une thèse : « La fabrique du parcours migratoire : la « route des Balkans » au prisme de la parole des migrants », un travail de terrain au plus près des intéressés.
François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement, invité à Saint-Dié pour présenter son dernier livre au titre explicite : On a tous un ami noir. Pour en finir avec les polémiques stériles sur les migrations, (Fayard, 2020). Il a été directeur exécutif du programme de recherche interdisciplinaire « Politiques de la Terre » à Sciences Po (Médialab), et est par ailleurs chercheur qualifié du FNRS à l’Université de Liège (CEDEM).
France-Culture est partenaire de ce 31e Festival International de Géographie de Saint-Dié qui se déroulera les 2, 3 et 4 octobre 2020.
L'année 2016 (6 000 personnes mortes ou disparues par noyade) était celle d'un triste record. On peut avoir l'impression, aujourd'hui, que ce que l'on a appelé la crise des réfugiés, de 2015 ou 2016, est derrière nous, mais la réalité, c'est que les naufrages en méditerranée continuent avec déjà plus de 600 morts pour la seule année 2020, alors que les flux ont été considérablement ralentis par la crise du coronavirus. François Gemenne
Travailler sur les migrations internationales, en particulier en tant que géographe, c'est changer d'échelles géographiques. Si on regarde à l'échelle du monde, il y a 3% de migrants ! [...] Si l'on se focalise sur le nombre de migrants qui passent les frontières de l'Union européenne, on a l'impression que c'est colossal, mais si l'on déplace un tout petit peu la focale pour voir comment, par exemple, des pays tels que la Turquie ou le Liban accueillent, notamment, les réfugiés syriens, on se rend compte que les chiffres sont triples... Lucie Bacon
On a bien vu, à l'occasion de cette crise du coronavirus que la fermeture des frontières, c'était la mesure sanitaire plébiscitée par huit français sur dix qui souhaitent même que ces frontières restent fermées après la crise du coronavirus. Et donc, plus on va entretenir un narratif et un imaginaire de crise, plus le support pour la fermeture des frontières va augmenter. Le problème, c'est que ce sont ces frontières fermées qui vont créer les crises humanitaires et le chaos migratoire, et qui vont être les premières responsables des morts en Méditerranée. François Gemenne
Une grande partie du travail du géographe, sur les migrations, c'est d'aller sur le terrain pour essayer de recueillir différents points de vue. Ce n'est pas aborder les migrations internationales que du point de vue politique ou du point de vue des chiffres. C'est aussi l'aborder, par exemple du point de vue des premiers concernés, les migrants eux-mêmes. Lucie Bacon
S'il y a une injustice fondamentale, c'est bien l'injustice du lieu de naissance. Et, avec la crise du coronavirus, les Européens se sont retrouvés confrontés aux mêmes restrictions de circulation que celles qu'ils imposent depuis des années et des années à ceux qui sont nés sur la rive sud de la Méditerranée ! François Gemenne
Etre né quelque part ?
Franchement, pas vraiment. Je suis née à Toulouse, ce n'est pas une ville que j'affectionne particulièrement. Je crois que je ne me sens pas de là, je me sens plus issue du puzzle de l'itinérance qui est un peu ma maison. J'appartiens à tous ces lieux dans lesquels j'ai pu vivre plus que dans la ville dans laquelle je suis née et dans laquelle j'ai grandi jusqu'à mes dix-huit ans. Lucie Bacon
Je suis Belge et quelque part, c'est l'endroit où je suis né qui donne sens à ce que je fais comme chercheur. Je suis né à Liège, au Sud-Est de la Belgique, près des frontières néerlandaise et allemande, c'est-à-dire que j'ai eu la chance de naître au cœur de la forteresse Europe, dans un pays riche, libre et démocratique. J'ai eu la chance de naître du bon côté et c'est à la fois un immense privilège et une très grande responsabilité. A fortiori, quand on est chercheur sur ces sujets. François Gemenne
Extraits musicaux et sonores
Extrait sonore : Il s'agit d'une bande sonore qui accompagnait l'exposition Moving Beyond Borders, une exposition itinérante de Migreurop et mise en scène par la compagnie Étrange Miroir.
la voix est celle de Claire Rodier__, enregistrée dans le cadre d’un projet Arte Radio (L’autre gouvernement, 2007). À l'origine, c'est un discours prononcé par Claire Rodier (juriste, GISTI, co-fondatrice de Migreurop), qui "s'auto-proclame" ministre de la liberté d'aller et venir. Ce discours a été enregistré dans le cadre d'un projet d'Arte Radio ; avec l'accord d'Arte, il a été repris pour accompagner un des modules de l'exposition.
Choix musical : "_Où aller où "_de TIKEN JAH FAKOLY
Le témoignage poignant d’un jeune migrant : Dans "Revenu des ténèbres", écrit en collaboration avec Lionel Duroc (XO Éditions, 2018), Kouamé témoigne de sa fuite à travers l’Afrique pour atteindre la France. Extrait de ce témoignage, en 3e partie d’émission.