Dans le parcours de Marie-Agnès Gillot, il n'y a pas grand-chose de raisonnable : danseuse étoile et chorégraphe, elle va toujours trop vite, elle est de ces artistes qui font recommencer le monde en imposant leurs règles. Grandie à Caen, elle intègre l'école de danse de l'Opéra de Paris à neuf ans. À 14 ans, elle entre précocement dans le corps de ballet. Elle danse pour Maurice Béjart, William Forsythe et un soir de mars 2004, elle est nommée étoile du ballet de l'Opéra de Paris à l'âge de 28 ans, pour interpréter le premier rôle dans Cygne de Carolyn Carlson. Elle aime la création contemporaine, être à l'origine des mouvements, elle a interprété les grands rôles d'Angelin Prejlocaj, Roland Petit, Mats Ek, Wayne McGregor, avant de s'adonner à l'écriture chorégraphique.
Marie-Agnès Gillot peut ralentir quelquefois, mais jamais elle ne s'arrête : "Pour moi, le repos ce n'est pas le non-mouvement, ce n'est pas rester allongé dans un lit à rien faire. Cela peut être aussi travailler un peu plus calmement que d'habitude."
"Je voulais juste être danseuse"
Interrogée sur sa découverte de la danse classique, Marie-Agnès Gillot retrace la façon dont cette discipline est entrée dans sa vie alors qu'elle était enfant : "Je mettais tout le temps les pieds sur les tables et je marchais sur demi-pointes, alors ma mère m'a dit "Si tu veux faire ça, je crois que ça s'appelle la jambe sur la barre, ce serait mieux que tu y ailles !"
Quant au parcours d'excellence qui va bientôt être le sien, et faire d'elle une étoile, elle confie l'avoir vécu dans une posture presque naïve, loin de tout esprit de compétition : "Quand on est enfant, on ne sait pas qu'il faut être la meilleure. On ne sait pas non plus qu'on aura plus de liberté, plus de choix, de temps si on est étoile. C'est la position qui fait qu'on a plus de temps, qu'on travaille à part des autres. On répète de notre côté, puis on rejoint le groupe. À l'époque, je ne me formulais pas "Je veux être la meilleure", non, je voulais juste être danseuse."
Le phrasé du corps
Si on n'associe pas spontanément la danse classique à l'improvisation, celle-ci tient pourtant une place importante dans la pratique de Marie-Agnès Gillot : "L'improvisation, c'est un grand ressenti, c'est le corps qui parle, on laisse parler les sensations, les actions, il n'y a pas de jugement, il n'y a pas de regard sur soi. Mais c'est très difficile d'improviser en classique, très rarement les danseurs classiques savent improviser. En classique, il faut toujours préparer le prochain mouvement dans sa tête et dans son corps, donc en improvisation, c'est plus difficile."
La danseuse évoque ensuite la façon dont son corps s'adapte en fonction des chorégraphes avec lesquels elle travaille, et comment s'élabore à chaque collaboration une grammaire singulière du mouvement : "Le corps se sculpte selon l'œuvre sur laquelle je travaille. On enchaîne, on respire et on est ce qu'on joue, il n'y a pas à penser entre. À ce niveau-là, on ne fait plus un mouvement après un mouvement, on fait déjà des phrases. Les grands danseurs ne font pas des mouvements, ils font des phrases" confie-t-elle.
Transmettre la danse
Enfin, Marie-Agnès Gillot évoque sa conception de la pédagogie, une dimension au cœur de sa pratique : "La meilleure pédagogie pour moi, c'est permettre à chacun de trouver sa danse, son identité. Si on vous mâche le travail, c'est plus facile bien sûr, mais ce n'est pas intéressant. Je me suis aperçue que plus on me donne de contraintes, de cadre, mieux je me porte. Il faut juste le supporter, mais ça permet de créer. Moi, en tout cas, si je sais exactement ce que je ne dois pas faire, alors je peux tout faire. Enseigner, interpréter, créer : a priori, ce n'est pas le même métier et on n'est pas censé savoir faire les trois mais moi, je m'éclate dans les trois !" conclut-elle.
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