L’histoire de la neurologie et de la psychanalyse commence avec le traitement des “hystériques” à la Salpêtrière à la fin du XIXe siècle. Face à ces femmes qui présentent des symptômes impressionnants -paralysie, cécité, torsion en arc de cercle, convulsions…- mais sans lésion organique, Jean-Martin Charcot, neurologue à la Salpêtrière, décrète que l’hystérie n’est pas une maladie de l’utérus mais une névrose de l’encéphale. Pour autant, il en fait une maladie essentiellement féminine dont le principal soin consiste à compresser les ovaires.
Sigmund Freud, élève de Charcot, théorise les bases de la psychanalyse à partir de l’écoute des “hystériques”. Presque toutes se remémorent avoir été violées. Selon lui, le corps manifesterait des symptômes qui seraient l’expression d’un traumatisme refoulé. Des récits que Charcot ne voulait pas entendre, ce qui fait dire à la psychanalyste et germaniste Aurélie Cachera : “On passe d'une clinique du regard chez Charcot, à une clinique de l'écoute chez Freud”. En effet, Freud comprend que, “les crises absolument spectaculaires de ces femmes reflètent en fait cette non-écoute, cette absence d'espace de parole. Et Freud, va se rendre compte que, finalement, bien qu’on ne les écoute pas vraiment, elles sont déjà en train de parler de leur traumatisme à travers leurs crises. Au fur et à mesure, il va leur donner un espace de parole qui va faire qu'elles n’auront plus besoin d'avoir des crises aussi spectaculaires puisqu'elles sont écoutées”.
Mais il revient sur sa théorie et parle alors d’un fantasme, comme l’explique Marianne, psychanalyste : “Freud revient peu à peu sur sa théorie. Finalement, il dit que c'est le fantasme qui rend malade, et non pas le traumatisme réel. Et de ce fantasme découle l'Œdipe. Là il y a eu un drame pour la psychanalyse. Et je pense que depuis des années, elle se bat pour maintenir ce déni du trauma réel”.
Aujourd’hui, psychanalystes, neurologues et psychiatres se débattent avec cette histoire violente de la prise en charge des “hystériques” pour soigner les patient.e.s atteint.e.s de troubles neurologiques fonctionnels, une maladie profondément mystérieuse, qui présente les mêmes symptômes spectaculaires qu’au XIXe siècle. Les malades continuent alors de pâtir de cette idée selon laquelle les hystériques fantasment, quand elles ne simulent pas
Un documentaire de Pauline Chanu, réalisé par Annabelle Brouard.
Intervenant.e.s :
- Béatrice Garcin : neurologue, à l’Hôpital Avicennes et à la Salpêtrière, cofondatrice du réseau TNF
- Coraline Hingray : psychiatre au CHRU à Nancy, cofondatrice du réseau TNF Marianne : psychologue clinicienne, psychanalyste
- Nicole Edelman : historienne, autrice de “Les métamorphoses de l’hystérique. Du Début du XIXe à la Grande guerre” (La Découverte, 2003)
- Aude Fauvel : historienne, spécialiste de la psychiatrie et des mouvements de patients, des sciences sociales sur la médecine.
- Silvia Lippi : psychanalyste, psychologue hospitalière en institution psychiatrique, ancienne danseuse, co-autrice du livre à paraître en septembre 2023 "Sœurs. Pour une psychanalyste féministe" (Seuil)
- Aurélie Cachera : maitresse de conférence en histoire des représentations et en littérature germanophone à l’Université d’Angers, psychologue clinicienne, psychanalyste, autrice de “Le Geste hysterique autour de 1900. formules de pathos a la salpetriere (PSN, Sorbonne Nouvelle)
- Julia Legrand : sociologue chargée de recherche à l’IRDES (Institut de recherche et de documentation en économie de la santé), autrice d’un article à paraître “Le genre de l’hystérie : analyse d’une catégorie semi-profane au prisme des médicaments”
- Yannick Ripa : historienne, spécialiste de l’histoire des femmes et du genre, autrice de “La ronde des folles. Femme folie et enfermement au XIXe”
- Avec les témoignages de : Lucie et des patient.e.s de l’association Cap TNF : Linda, Aurelia, David, Ruben accompagnée par Sarah, infirmière.
Archives :
- L’inconscient, France Inter, novembre 2022
- Augustine, Jean-Claude Monod, 2003
- Augustine, Alice Winocour 2012
- L'hystérie, langage du corps, Albert Luzuy et Eric Duvivier, Medfilm, 1967
Bibliographie :
- Le Geste hystérique autour de 1900. formules de pathos a la Salpêtriere chez Arthur Schnitzler et Trude Fleischmann, Aurélie Cachera (PSN, Sorbonne Nouvelle)
- Etudes sur l’hystérie, Josef Breuer et Sigmund Freud (PUF)
- Les Métamorphoses de l’hystérique, Du début du XIXe à la Grande guerre, Nicole Edelman (La Découverte)
- L’Invention de l’hystérie, Georges Didi-Huberman (Macula)
- L'avènement de la psychanalyse, Nicole Edelman, Éditions Stilus, coll. "Résonances", 2022
- Je suis un monstre qui vous parle, Paul B. Preciado (Grasset)
- Les folles d'enfer de la Salpêtrière, Mâkhi Xenakis (Actes sud)
- La ronde des folles, Femme, folie et enfermement au XIXe siècle, Yannick Ripa (Aubier)
- Mes mémoires, Jane Avril (éditions Phébus)
- La femme qui tremble, Siri Hustvedt (Actes Sud)
- Blanche et Marie, Per Olov Enquist (Babel)
- Vers une psychanalyse émancipée. Renouer avec la subversion, Laurie Laufer (La Découverte)
- 10 jours dans un asile, Nellie Bly (Points)
Filmographie
- Freud, passions secrètes, John Huston
- Augustine, Alice Winocour
- Augustine, Jean-Claude Monod
- A dangerous method, David Cronenberg
- Thelma, Joachim Trier
Remerciements
Merci à Hervé Mazurel, Hervé Guillemain, Andreas Mayer, Mathieu Bellahsen, Rémy Amouroux, à Andréa Barbe-Hulmann et à l’équipe du Musée d’Histoire de la médecine, à Alice et à l’équipe du Centre Bipol-Air de Lyon et à l’association “Comme des fous”.
Documentation sonore et musicale : Marion Guilhen, Antoine Vuilloz, Abigail Sanz, Anne-Lise Signoret et Mylène Touchais
Illustrations sonores :
- Quinquis - Album Seim
- Gaspar Claus - Album Tancade
- Joan La Barbara – Sound Paintings / Label Lovely Music