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Monrovia, Indiana
Quelques années après avoir filmé Jackson Heights, le quartier le plus cosmopolite de New York dont les habitants parlent près de 167 langues, le documentariste américain Frederick Wiseman semble avoir été attiré dans cette petite ville rurale de l’Indiana, Monrovia, pour des raisons diamétralement opposées. C’est là qu’elle se trouve, l’Amérique blanche et républicaine (96,3 % de blancs-américains et 76% d’électeurs de Donald Trump en 2016). Comme à son habitude, le réalisateur s’applique à dresser un constat politique en creux. Son point de vue apparaît en filigrane à travers le montage de scènes du quotidien dont le temps a été comme suspendu. En quelques images, le décor est posé. Grands paysages ruraux. Bruits du vent dans la plaine. Le territoire de Monrovia est désert, peuplé par-ci par-là de cochons et de machines agricoles. Il y a le monde du dehors, les prairies, les champs… Et celui du dedans, la famille, la communauté, politique ou religieuse. Certains ne se sont jamais aventurés en dehors des limites de la localité. L’extérieur est symbolisé par la menace que. représentent les nouveaux arrivants pour des habitants rétifs au changement. Wiseman brosse le portrait d’une société archaïque, préoccupée par sa seule protection et son hygiène de vie, dont l’organisation est réglée avec une précision quasi-militaire. Les activités, travail et loisirs confondus, ponctuent la routine linéaire des habitants : l’élevage, la construction, les commerces (du tatoueur au vendeur d’armes), ainsi que la danse country, la collection de voitures et de trophées, de sport et de chasse. Frederick Wiseman ausculte la vie locale à travers les discours des citoyens : échanges, cérémonies et débats publics. On discute de l’installation d’un banc, de la construction d’une bretelle d’autoroute, comme s’il n’y avait rien en dehors du cadre limité de la ville. En contrechamp, le public auquel s’adressent ces discours semble alangui et peu réceptif : adolescents avachis à qui l’on vante les mérites sportifs de leurs prédécesseurs, assistance effondrée devant le sermon funéraire d’un pasteur au temple. Une scène de kermesse dévoile les fondements politiques d’une société fermée sur elle-même, brutale, sectaire et misogyne. La terre de Monrovia a été domestiquée, à l’image des animaux d’élevage qui l’arpentent. Les pelles qui la retournent à la fin du film s’activent pour recouvrir un cercueil.