Loin de l’obscurité des ateliers de peintre alors tous orientés vers le nord, Alfred Sisley fait l’école buissonnière et explore les environs en pleine transformation de Paris. Les séquelles de la guerre de 1870 et la révolution industrielle révolutionnent les paysages et l'artiste en est l’un des témoins avec son pinceau. L'impressionnisme accompagne ces bouleversements.
Anne Robbins, conservatrice au musée d'Orsay : "Ce pont avait été détruit par l'armée française elle-même pour empêcher la progression de l'armée allemande vers Paris. Donc, c'était une destruction du fait des Français. Et donc, c'est un symbole très fort d'un pays qui est en train de se relever de cette défaite et qui est en train de reprendre le dessus. Ce que Sisley fait ici, c'est qu'il documente ce moment particulier d'une histoire toute récente, très contemporaine. Et ce qu'il démontre, c'est que la vie reprend son cours."
Les jeunes peintres impressionnistes en ont marre de représenter les paysages éternels de la forêt de Fontainebleau, typiques de l’école de Barbizon. Ils plongent dans leur époque, sautent dans les trains et explorent les boucles de la Seine pour y saisir les transformations qui s’opèrent et en saisir l’énergie et l’optimisme.
Selon Paul Perrin, conservateur au musée d'Orsay : "Cette idée d'une France éternelle, d’une forêt mythique, d'une communion de la nature, ça ne les intéresse pas du tout. Ils sont dans une volonté de représenter leur époque et donc ils vont choisir des paysages qui sont marqués par l'activité humaine (...) comme des cheminées fumantes d'usines en bord de Seine, cette activité industrielle de la Seine, les péniches, etc. Et puis, c'est aussi toute la culture nouvelle du loisir et de la fête et des divertissements (...) c'est le canotage, ce sont les guinguettes en bord de Seine, c'est Bougival, c'est le restaurant Fournaise, ce sont les régates à Argenteuil. Donc c'est vraiment une nature qui est une nature domestiquée, qui est en fait un paysage d'un genre totalement nouveau. Personne n'a jamais vraiment représenté ces lieux-là de cette manière. Il invente quelque chose là, qui n'a jamais été vraiment représenté avant eux."
Le peintre impressionniste Alfred Sisley, comme ses pairs, regarde les paysages du quotidien avec un œil nouveau.
Paul Perrin : "Par exemple, dans la perspective du pont, Sisley est dans le jeu des couleurs, il est dans le jeu des tons. Comment les tons de beige, de gris du ciel, les verts... comment tout cela crée une forme d'harmonie. (...) Et donc voilà ce qui nous semble être peut-être un paysage un peu ennuyeux, pour eux, un temps gris va permettre ce genre d'effet. Parce que le beau n'est pas le spectaculaire, le beau, n'est pas le charmant, ni le pittoresque. Le beau est ailleurs, il est dans justement le banal, le quotidien, ce qui nous semble être sans intérêt particulier. Mais l'intérêt va être dans la composition et dans les tons, il va être dans ce qu'ils vont révéler à nos yeux, de ce que nous ne voyons pas la beauté de ces lieux. Et c'est toute la beauté justement et la réussite du paysage impressionniste. C'est à partir de paysages qui, a priori, ne nous semblent pas spécialement beaux, (...) d’arriver à nous faire regarder les couleurs de la nature, les couleurs de l'eau, du ciel changeant et de nous faire ressentir cette petite poésie."
