Le journaliste Fabrice Nicolino, à qui l'on doit notamment l'émergence du mouvement des coquelicots qui s'est mobilisé plusieurs années pour interdire les pesticides, publie aujourd'hui C’est l’eau qu’on assassine aux éditions Les Liens qui Libèrent. L’adresse directe interpelle le lecteur et le met face à un constat inquiétant : l’eau est victime d’un crime parfait. « La vie de chacun est courte, te sentirais-tu fier de toi sans avoir tout imaginé, tout tenté, tout risqué pour elle ? Pour l’eau ? » écrit-il en introduction. Car ne l'oublions pas, sans eau, point de vie sur Terre et les cerveaux humains sont d'ailleurs constitués à 80% de cet or bleu.
« L'eau est une histoire et conserve une mémoire »
L'histoire de l’eau pourrait commencer en Mésopotamie, entre les fleuves le Tigre et l’Euphrate, où les premiers puits furent creusés par l’homme il y a 8000 ans. Pendant des siècles, il était simple et normal de boire l’eau qui se présentait à nous, les Parisiens buvaient d’ailleurs l’eau de la Seine. Mais avec l’avènement des villes, des déchets et des maladies, le rapport à l’eau changea. Au Moyen-Âge notamment, la gestion de l’eau connut une nette régression en comparaison avec l’Antiquité.
Avec la naissance de la microbiologie, on commence à réfléchir à la composition de l’eau et à faire le lien entre les bactéries pathogènes qu'elle contient et les maladies dont nous sommes atteints. L'âge d’or de l’eau potable s’ouvre dans la seconde moitié du XIXe siècle, et les travaux de l’Institut Pasteur permettent l’invention de filtres efficaces contre les bactéries et les microbes. Mais dans les faits, il faut attendre le début des années 1990 en France pour que toute la population dispose de l’eau courante.
Aujourd’hui, le cycle de “fabrication” de l’eau que nous buvons commence avec des nappes phréatiques bien souvent polluées et se poursuit dans les stations d’épuration mises en place à partir de 1940. L'eau stockée dans de grands réservoirs subit alors plusieurs étapes d’épuration : dégrillage, clarification, filtrage et désinfection et, selon les usines, charbon actif, dénitrification ou encore ajout de chlore.
Une eau contaminée
Le tournant majeur est l’irruption de la chimie de synthèse devenue une grande puissance à la fin du 19e siècle et les trente premières années du XXe siècle. Une industrie qui a échappé à tout contrôle humain et dont on ne connaissait ni ne mesurait encore les effets des millions et millions de molécules. Le journaliste Fabrice Nicolino parle d'une liberté totale de mise en circulation à l'époque, “on avait aucune idée de ce qu’on faisait”. Le déferlement de toutes ces molécules a eu des effets majeurs sur tous les milieux naturels et Fabrice Nicolino évoque d’un point de rupture, d’une impasse pour qualifier aujourd’hui la contamination aux micropolluants à laquelle nous faisons face. Finalement, toutes les sources d’eau sont concernées, qu’il s’agisse de nos cours d’eau, des nappes phréatiques, des eaux de mer mais aussi l’eau de pluie, même le brouillard ou encore l’eau dite “naturelle” qui se retrouve commercialisée en bouteille.
En dehors de la dégradation de sa qualité, la quantité de l'eau est également menacée. La France voit se tarir son capital d’eau naturelle, environ -14% sur les deux décennies passées. Fabrice Nicolino consacre entre autres des chapitres de son livre à l’industrie nucléaire, qui consomme 31% de l’eau en France et à l’agriculture industrielle, qu’il qualifie de monstre qui pompe aussi beaucoup d’eau, « Environ 11% au total si l’on regarde les chiffres bruts mais 60% si l’on considère le volume d’eau non rendu aux milieux naturels et aquatiques.»
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