Apparu sous sa première forme en 1951, le Nagra a changé le monde de la radio et du cinéma. Né de l’imagination de l’ingénieur suisse d’origine polonaise Stefan Kudelski, alors encore étudiant à l’École Polytechnique Fédérale de Lausanne, cet appareil portable permettait, pour la première fois, d’enregistrer de façon autonome avec une qualité professionnelle. Il le baptise Nagra, du polonais "il enregistrera".
Des profondeurs de l’océan (dans le bathyscaphe d’Auguste Piccard) à l’Everest où il suit Raymond Lambert, des films de la Nouvelle Vague aux reportages d’actualités et aux fictions radio, les différentes versions du Nagra ont rendu possibles des prises de son inconcevables autrement. Il perd sa manivelle en 1958, passe aux transistors, à la stéréo, permet la synchronisation et devient un standard mondial en cinéma comme en radio et même en prise de son musicale. Le Nagra crée avec ses propriétaires un lien de proximité affectif, bien au-delà d’un simple outil technique.
Pour rendre hommage à "son" Nagra, Yann Paranthoën se rend en 1987 à l’usine de la marque, à Cheseaux-sur-Lausanne, en Suisse. Il y rencontre Stefan Kudelski, plusieurs de ses collaborateurs (Louis Favre et Michel Havrilow) qui reviennent sur la partie technique du Nagra et son évolution, et recueille la parole de nombreux utilisateurs de ce magnétophone : preneurs de son, chercheur, bruiteur et même publicitaire, qui évoquent leur attachement à "leur" Nagra. Deux heures de témoignages entrelacés de sons d’archives, du bourdon de Notre-Dame de Paris aux ambiances du film Le Jour le plus long, et aussi de sons contemporains, captés lors du périple en Suisse par le Nagra IV-S numéro 3328, celui de Yann Paranthoën lui-même. Une émission diffusée pour la première fois sur France culture le 8 mars 1987.
Plus de fil à la patte
Donatien Laurent, chercheur à l'Université celtique de Brest, explique en quoi le Nagra l’a beaucoup aidé pour son travail de collecte sonore : "Grâce à lui, je suis allé enregistrer dès 1963 des chansons folkloriques interprétées par des paysannes bretonnes encore monolingues, vivant dans des endroits sans électricité, avec le sol en terre battue, ou même en plein air. Pour moi, c’était fabuleux : vivant encore dans un autre âge, loin des facilités de notre époque, ces personnes avaient conservé une mémoire intacte. Le seul problème, c’était quand même le poids, avec toutes ces piles..."
La confrérie des Nagra
Michel Créis, chef opérateur du son à Radio France, commente le lien spécifique unissant le preneur de son à "son" Nagra : "Quand on m’a livré mon Nagra IV-L en mai 1971, c’était une fête pour moi, ça représentait quelque chose d’important. C’était comme entrer dans un univers, faire partie d’une confrérie. C’est un peu comme si l’appareil faisait la fonction ! Le fait d’avoir un Nagra, c’est comme un adoubement, on peut enfin enregistrer vraiment, ce n’est pas du tout comme avec un autre appareil."
Trop solide !
Stefan Kudelski commente malicieusement sa création : "Le Nagra III est une machine plus sérieuse que les deux premières versions, et comme je n’avais pas la possibilité de les entretenir à travers le monde, il a fallu le faire très fiable. C’est mon malheur, il est beaucoup trop solide ! Et on nous a beaucoup reproché son poids. J’ai voulu pouvoir utiliser des piles ordinaires, avec une bonne autonomie. Et si nous avions voulu faire plus léger, ç’aurait été encore plus cher."
Et celui dont le nom n’apparaît pas sur la face avant des Nagra conclut par ces mots : "Ça me fait plaisir, vous savez… C’est ma vie, que voulez-vous ? Toute ma carrière professionnelle était, finalement, autour de cet appareil."
- Par Yann Paranthoën et le Nagra IV-S 3328
- Réalisation Claude Giovannetti
- Avec Samy Simon (grand reporter), Jacques Piccard (océanographe et océanaute), Raymond Lambert (alpiniste), Donatien Laurent (musicologue, ethnologue et linguiste, université celtique de Brest), Jacques Goy (conservateur des archives de la Radio Suisse Romande), Elisabeth Robinson (publicitaire), Michel Creïs (preneur de son à Radio France), Pierre Braut (preneur de son à Radio France), Joé Noël (bruiteur), Paul Tavernier (preneur de son à Radio Luxembourg), Jean Graille (preneur de son cinéma), Louis Favre (mécanicien de précision), Stefan Kudelski (ingénieur, inventeur des enregistreurs de haute qualité Nagra) et Michel Havrilow (collaborateur de Stefan Kudelski)
- Atelier de création radiophonique - On Nagra : il enregistrera 1/2 (1ère diffusion : 08/03/1987)
- Edition web : Valérie Ernould, Documentation de Radio France