Dès qu’il est question de l’histoire de l’éducation sur le temps long, la cité de Sparte fascine. D’ailleurs, pour parler de ce qui est rude et sévère, notre langue a adopté un mot (qui ne désigne pas uniquement de charmantes sandales avec des lanières de cuir) : spartiate. Quelle éducation pour les citoyens à Sparte ? Quel rôle jouent les éphores, ces magistrats au pouvoir considérable ? Une éducation à la dure, qui demande beaucoup d’efforts !
Une éducation au service de la cité
L’éducation spartiate ou agogé apparaît à partir du VIe siècle avant J.-C., à la fin de l’époque archaïque. Selon Plutarque, elle aurait été inventée par Lycurgue, le législateur mythique de Sparte. L’éducation est obligatoire pour les citoyens – les hilotes en sont a priori exclus. Organisée par la cité et collective, elle répond à un découpage par classe d’âge : "L'éducation des Spartiates est particulièrement longue. Xénophon distingue trois étapes : les enfants sont des paides jusqu’à quatorze ans, puis ils deviennent des paidiskoi jusque vers vingt ans, enfin des hébontes jusqu’à trente ans. Les citoyens sont seulement de plein exercice à l’âge de trente ans. On retrouve aussi cette limite d’âge à Athènes pour l’exercice de certaines fonctions. Cette longueur de l’éducation du Spartiate est un trait caractéristique de la cité.", souligne l’historien Nicolas Richer.
Le but premier de l’éducation spartiate est de former des citoyens. Il est ainsi nécessaire de subir l’agogé pour jouir pleinement de ses droits civiques. À travers ses pratiques éducatives, Sparte s’assure d’un dévouement absolu et total des citoyens au bien commun et aux intérêts de la cité. Puisque les intérêts de Sparte sont bien souvent militaires, la visée de l’éducation spartiate est également de former des soldats, et même des soldats d’élite. Les Spartiates sont en effet reconnus comme d’excellents guerriers par les autres cités grecques.
Lors de son éducation, le jeune Spartiate apprend à vivre chichement, voire avec austérité, à obéir aveuglément aux ordres qu’on lui donne, et à se mesurer aux autres membres de sa classe d’âge, même si l’émulation ne doit pas prendre le pas sur le sens du collectif : "Les Spartiates doivent agir pour le bien de leur cité et ils doivent être les meilleurs possibles. On voit que le système éducatif que Xénophon appelle la paideia vise à former des jeunes gens qui seront aptes à la guerre. Le terme même agogé renvoie à une notion d’élevage, on conduit du bétail. Et il y a d'autres termes d'ailleurs, en particulier à l'époque hellénistique ou romaine, qui renvoient à l'idée selon laquelle les enfants constituent une espèce de troupeau que l'on mène. L’éducation revêt un caractère largement collectif.", explique Nicolas Richer.
Des lettres aux armes, une éducation complète
Dès la naissance des enfants, la cité met en place des procédés eugéniques, qui permettent de sélectionner des Spartiates sains, forts et vaillants. D’après Plutarque, le nouveau-né est examiné par une commission d’anciens réunis en une lesché, qui ordonne de le jeter du haut de la montagne du Taygète s’il n’est pas de constitution assez robuste.
De sa naissance à ses sept ans, le petit Spartiate grandit dans son cadre familial. Ensuite, il est retiré à ses parents et pris en charge par la cité jusqu'à ses vingt ans. Un pédonome, magistrat chargé de superviser l’éducation des enfants, a désormais autorité sur lui. Le jeune Spartiate apprend à lire, à écrire, à danser et à chanter, s’entraîne à l’athlétisme, au maniement des armes et à la manœuvre militaire. Il doit également s’endurcir, apprendre à résister à la contrainte, à la douleur, au froid et à la faim. Cet apprentissage couvre donc plusieurs domaines : "Leur éducation n'est pas seulement physique, c'est aussi une éducation intellectuelle. Plutarque dans la Vie de Lycurgue dit qu’ils apprennent à lire et à écrire et que leur étude des lettres se borne au strict nécessaire. (...) Les Spartiates disposent néanmoins d’une capacité de lecture suffisante pour pouvoir assurer les fonctions d’éphore — c’est-à-dire de magistrat — et afin de gérer les effectifs de l’armée. La capacité à lire est très largement répandue parmi les citoyens." Cette habilité à l’endurance physique et morale joue un rôle central dans l’éducation spartiate, et est à mettre en lien avec les qualités attendues d’un soldat lors d’une campagne militaire.
Pour aller plus loin :
- Nicolas Richer, Le Monde grec, Bréal 1995, 5e édition en 2023
- Nicolas Richer, Atlas de la Grèce classique. Ve-IVe siècle avant J.-C., l’âge d’or d’une civilisation fondatrice, Autrement, 2021
- Nicolas Richer, Laurianne Martinez-Sève, Grand atlas de l’Antiquité grecque classique et hellénistique, Autrement, 2019
- Nicolas Richer, Sparte. Cité des arts, des armes et des lois, Perrin, 2018
- Nicolas Richer, La Religion des Spartiates. Croyances et cultes dans l’Antiquité, Les Belles Lettres, 2012
- Nicolas Richer, Les Éphores. Études sur l’histoire et sur l’image de Sparte (VIIIe-IIIe siècle avant Jésus-Christ), Publications de la Sorbonne, 1998
Références sonores :
- Montage croisé d'une fiction radio sur les casernes spartiates
- Extrait du film 300 de Zack Snyder sur la sélection des nouveaux-nés, 2006
- Archive INA d'Henri Jeanmaire sur l'armée spartiate, Heure de culture française, RTF, 20 mai 1955
- Musique d'un chœur spartiate, Petro Tabouris
- Lecture par Jeanne Coppey de la République des Lacédémoniens de Xénophon, 378 ou 377 avant J.-C.
- Chanson "Spartiate Spirit" de IAM, 2013
- Lecture par Jeanne Coppey d'extraits de la Vie de Lycurgue de Plutarque, entre 100 et 120