Tous les archéologues sont des explorateurs du passé, toutefois, certains, aux quatre coins du monde, ont aussi réalisé de lointaines expéditions. Jean-Louis Georget : " C'est le petit fils du directeur du zoo de Berlin, et il dit que les premières odeurs de l'Afrique lui sont venues de ces zoos humains. Et, c'est aussi le fils d'un architecte militaire qui a fait des expéditions en Afrique. Donc l'Afrique, c'est un peu son rêve d'enfant. "
Des arts doublement lointains
En Afrique, et durant tout le XXe siècle, des préhistoriens ont ainsi mis au jour d’étonnants corpus d’art rupestre, peintures ou gravures fixées sur des parois rocheuses, notamment du Sahara et d’Afrique Australe. Leurs dessins, croquis, relevés sont alors devenus des éléments indispensables pour révéler au public, ces arts doublement lointains. Aujourd’hui, la France et l’Allemagne possèdent, dans leurs musées, les plus grandes collections de dessins d’archéologues. Jean-Loïc Le Quellec : " Ces relevés ont connu quelques dégradations depuis l'époque où ils ont été effectués. Et dans quelques cas, on est heureux d'avoir les copies parce que l'original est, soit devenu pratiquement illisible, à moins d'utiliser des techniques très sophistiquées, soit a été dégradé, soit, a complètement disparu. "
Henri Breuil, l’art du relevé
Henri Breuil est sans conteste le précurseur de l’étude de l’art rupestre. Il en fonde aussi la méthodologie, préférant le dessin et la cartographie des parois à la photographie. « Ce n’est pas en laboratoire que l’art rupestre s’apprend, mais sur le terrain. C’est un sujet que l’on ne peut saisir qu’à la condition de procéder aux relevés soi-même, d’avoir vécu en tête-à-tête avec les images pendant des heures, des jours, voire des semaines » (Lhote 1962 à propos de Breuil). Dans une vision mystique, l’abbé magnifiera cet art, au travers de ces relevés.
Jean-Loïc Le Quellec : "L'abbé Breuil est l'initiateur d'une "mystique" du relevé. Parce que lorsqu'on exécute un relevé sur place, on est à l'endroit même où se tenait l'artiste originel et on reproduit les gestes qu'il a effectués. Pour l'abbé Breuil, c'était une manière d'incorporer l'œuvre originale et donc une manière de s'en approcher au plus près. Henri Lhote, qui était son élève, a aussi perpétué ce type d'approche."
Le Tassili n’Ajjer d’Henri Lhote
Jean-Loïc Le Quellec : "De nos jours, quand on va sur les sites et que l'on retrouve les peintures qu'Henri Lhote a relevées, dans de nombreux cas, on voit qu'elles ont été repassées au fusain par Henri Lhote ou quelqu'un de son équipe. J'avoue que c'est quand même un petit pincement au cœur à chaque fois que l'on voit ça !"
Dans les pas d'Henri Breuil, Henri Lhote recensera, au travers de plusieurs expéditions, l’art du Tassili central ; il est alors accompagné dans cette quête par de jeunes peintres qui ont en charge de reproduire les images préhistoriques. Relevées à l’aide de calques, les œuvres préhistoriques sont ensuite reproduites à la gouache.
Pour mieux convaincre le public de l’importance de cette préhistoire, ces fac-similés, nouvelles œuvres d’art, furent exposés en 1957, au Musée des Arts décoratifs à Paris, tandis que son ouvrage À la découverte des fresques du Tassili (1958) fut un succès maintes fois réédité. Henri Lhote percevait des liens entre art saharien et Egypte ancienne. Quatre petites femmes à tête d’oiseau du site de Jabbaren en étaient l’affirmation. L’archéologie sait désormais qu’il s’agit de faux, œuvres potaches d’un des jeunes peintres de la mission.
Un archéologue excentrique Léo Frobenius
Ethnologue autodidacte, peu connu en France mais capital en Allemagne, Leo Frobenius entreprend une douzaine d’expéditions en Afrique entre 1904 et 1935. Celui-ci conteste les bases idéologiques du colonialisme et prône l’historicité des cultures africaines ; en cela, il est un des inspirateurs des théoriciens de la négritude. (cf. Histoire de la civilisation africaine, 1936). Parallèlement, il développe la fameuse, et très fumeuse, théorie de l'Atlantide africaine, reliant le continent au monde hellénistique. C’est par la préhistoire que celui aborde l’Afrique. Jean-Louis Georget : " C'est le petit-fils du directeur du zoo de Berlin, et il dit que les premières odeurs de l'Afrique lui sont venues de ces zoos humains. Et, c'est aussi le fils d'un architecte militaire qui a fait des expéditions en Afrique. Donc l'Afrique, c'est un peu son rêve d'enfant. "
Issues de l’Institut Frobenius, premier fond d’art préhistorique au monde, les œuvres de cette mission sont présentées par le Musée de l’Homme, dans une très esthétique exposition "Préhistomania". Des œuvres et relevés d’art préhistorique du Zimbabwe, d’Afrique du Sud et du Lesotho, mais aussi d’Italie et de Libye, réalisés par ses dessinateurs et dessinatrices, entre documents scientifiques et création artistique contemporaine.
Jean-Louis Georget : "Leo Frobenius initiera une douzaine d'expéditions en Afrique intérieure, dès 1905 avec le Congo et jusque dans les années 30. Ses relevés viendront compléter d'autres archives, plus matérielles, sonores aussi, des histoires, des contes collectifs. Il veut absolument tout saisir de ce continent inconnu et va essayer d'explorer toute cette Afrique qui lui tient à cœur."
Jean-Louis Georget : "Les nazis vont lui demander d'approuver la théorie des races et Frobenius dira que : "non, il n'y a pas de races, donc on ne peut pas approuver une théorie qui n'existe pas". Il met en péril son institut et la pérennité de son institut, mais jamais, il ne reconnaîtra cette théorie des races."
Jean-Louis Georget : "Frobenius lui-même a conçu ses relevés comme des œuvres d'art parce qu'il a tout de suite pensé aux expositions. Il fait la collecte de ses relevés et les expose à Paris (1930/1933) à la salle Pleyel, le Trocadéro, mais le point d'orgue, c'est 1937, c'est le MoMA avec Alfred Barr. Et là, les relevés sont posés à côté des œuvres d'art extrêmement contemporaines, sans explications, et le public a été absolument fasciné, et la réaction de la presse est de dire que "les premiers surréalistes étaient les hommes des cavernes !"
Jean-Loïc Le Quellec : "Maintenant, il y a un système qui s'appelle la photographie hyper spectrale, qui permet de voir des choses qui nous échappent complètement, qui sont absolument invisibles sur les parois, à l'œil nu. Et si on les photographie, on a l'impression que l'on photographie une paroi vierge."
>> Exposition Prehistomania au Musée de l'Homme, du 17 novembre 2023 au 20 mai 2024. Présentation vidéo.
Jean-Loïc Le Quellec : "Il y a eu un énorme engouement pour ces images (vers 1957-58) et même un numéro spécial de Paris-Match. Tous les grands écrivains de l'époque, les grands poètes, les politiques sont venus visiter ces expositions et à chaque fois, il y avait des échos dans la presse. Ça a fait un énorme bruit à l'époque de ce surgissement d'images qui avait été complètement oubliées de l'histoire de l'art et qui étaient comme des ovnis énormes qui apparaissaient dans le ciel de l'histoire de l'art. C'est très étonnant que ça ait été un peu oublié."
Pour aller plus loin
- Présentation de Jean-Loïc Le Quellec, sur le site Fragments sur les Temps Présents, sur wikipédia, sur Babelio, sur Linkedin. Sa chaîne you tube (diverses vidéos sur ses travaux). Son profil Radio France, sur le site de l'AARS (association des Amis de l'Art Rupestre Saharien dont il est le président).
- Ses publications, sur le site Cairn.info, sur Research gate, sur Babelio.
- Présentation de Jean-Louis Georget, sur le site de la Sorbonne Nouvelle, université des cultures, sur le site du Centre Georg Simmel (laboratoire EHESS/CNRS de Recherches franco-allemandes et Sciences sociales), sur Linkedin, sur Babelio.
- Ses publications, sur le site de l'EHESS, sur Cairn.info, sur Open Edition Books.
- A lire, Dans les coulisses de l'exposition "Prehistomania", sur le site du Muséum National d'Histoire Naturelle.