Claude Richard habite au numéro 4 de la rue Nélaton à quelques encablures de la station de métro Grenelle rebaptisée Bir-Hakeim en face de là où s’élevait jusqu’à la fin des années 1950 le Vélodrome d’Hiver. Il raconte comment vivre à cette adresse a éveillé en lui un devoir de mémoire : “Ce qui m'a toujours étonné, ce sont les gens qui me disent ‘Ha, tu habites en face du Vel d'Hiv ? Olala, moi, je ne pourrais pas habiter là, ça me ferait faire des cauchemars’. Mais moi, au contraire, ça ne m’a pas donné de cauchemars, ça m'a donné l'envie de témoigner à ma manière, de réunir des documents pour la postérité.“
Collectionneur et arpenteur invétéré, rien ne lui échappe dans ce 15e arrondissement de Paris dont il connait toutes les rues, les impasses et les moindres recoins. Ce matin, il a rendez-vous avec Karen Taieb, responsable des archives du mémorial de la Shoah. À 9h00, elle arrive chez l’octogénaire avec 5 cartons sous le bras destinés à emporter les archives que Monsieur Richard a compilé depuis près de 60 ans sur cette rue Nélaton et son célèbre Vel d’Hiv.
Un bâtiment raconte-t-il qui représentait aussi “une histoire, un mode de vie des Parisiens qui, dans le 15e arrondissement était très populaire. Il y avait alors beaucoup de combats de boxe et quand les boxeurs prenaient leur retraite, ils achetaient des cafés aux alentours du Vel d'Hiv, cela drainait une population d'ouvriers qui adoraient la boxe.” Mais, se désole-t-il, “s’il a servi à divertir les gens, il a servi aussi à les interner puisqu'il y a eu la rafle du Vel d'Hiv puis après, il y a eu l'internement des collabos”, sans oublier à l’époque du FNL “les algériens qui y étaient convoqués pour contrôler leur identités” et Karen Taieb rappelle qu’en 1940, "on y a interné les femmes ressortissantes des pays ennemis avant l'occupation par l'Allemagne”.
Pourtant, une chose manque à la collection de Claude Richard : des photos de cette enceinte où toutes les passions ont éclaté, étrange haut-lieu de la fraternité, de la joie, de la haine et de l'infinie misère des hommes, devenu cimetière de millions de rêves.
D’ailleurs il n’en existe à ce jour qu’une seule, prise au moment de la rafle. Celle qu’a retrouvée la documentaliste Roseline Bloch. C’était à la fin des années 80. Néanmoins, Serge Klarsfeld veut continuer à chercher d’autres photos : “Pour le moment, je n'ai pas pu encore entrer dans Vel d’Hiv avec les juifs en photo. Mais, je ne désespère pas, parce que l’on sait que les allemands ont filmé à l'intérieur du Vel d'Hiv. Et puis, je pense qu’il y a peut-être un journaliste qui a pu entrer ou un allemand qui a pu prendre des photos.”
Avec :
Claude Richard, Karen Taieb du mémorial de la Shoah, Roseline Bloch, Serge Klarsfeld.
Un documentaire d’Alain Lewkowicz, réalisé par Séverine Cassar.
Bibliographie
- Rachel Jedinak, Nous étions seulement des enfants, Fayard, 2018
- Claude Lévy, Paul Tillard, La Grande Rafle du Vel d’Hiv, Tallandier, 2020
- Anna Senik, L'histoire mouvementée de la reconnaissance officielle des crimes de Vichy contre les Juifs: Autour de la cérémonie de commémoration de la rafle du Vel' d'Hiv, L'Harmattan, 2013
- Karen Taieb, Je vous écris du Vel'd'Hiv, J'ai Lu, 2012
- Eric Conan, Sans oublier les enfants : les camps de Pithiviers et de Beaune-la-Rolande, 19 juillet-16 septembre 1942, Grasset, 1992
- Annette Kahn, Le Fichier, Robert Laffont, 1992.
- Laurent Joly, La rafle du Vél d'Hiv : Paris, juillet 1942, Grasset, 2022
- Maurice Rajsfus, La Rafle du Vél d'Hiv, Editions Du Detour, 2021
- Alain Vincenot, Vél d'hiv' : 16 juillet 1942, éditons l'Archipel, 2012
Liens
Illustrations sonores
- Frost Martin : Danse Klezmer N°2
- Krakauer David / Tagg Kathleen : Parzial
- Frost Martin : Ancient Suite
- Krakauer David : Esquisses Hebraiques Op13
- Fajerman Genia : Shabes Licht
- Yom Yang Li : Rings
- Frost Martin : All In The Past
- Park Jiha : Nightfall Dancer
- Antongirolami Gianpaolo : Fratres
- Yves Montand : Vel D’Hiv
- Schwartz Azi : El Maleh Rachamim (enregistrement à l’ONU du 27/01/2012)