Pierre Soulages a débuté sa carrière de peintre en 1946 et continue à peindre aujourd’hui au même rythme régulier. Il vient de fêter son centième anniversaire le 24 décembre 2019. À cette occasion, le musée du Louvre lui rend hommage à travers une exposition. Le parcours présente une sélection d’œuvres majeures, provenant des plus grands musées français et étrangers, de chacune des sept décennies de l'artiste.
Plutôt qu'une grande rétrospective rassemblant une centaine d’œuvres, le Louvre s'est concentré sur une vingtaine de peintures du maître, considéré comme le plus grand artiste français vivant.
Une exposition qui se concentre sur l'outrenoir, cet univers imaginé par Soulages en 1979 lorsqu'il a pris le virage du noir complet, misant sur le contraste, entre lisse et stries, mat et brillant et noir et lumière. Un territoire que le peintre continue inlassablement d'explorer.
Il a été élevé comme un paysan et a été viticulteur. Il voulait devenir professeur de dessin et faire de la peinture en douce. Un premier acheteur en a décidé autrement. Il expose ses œuvres depuis 70 ans et n'a jamais dérogé aux règles élémentaires qu'il s'est fixées à lui-même. L'espace du tableau est un champ de recherche ou la moindre variation d'une seule couleur, tant en densité qu'en lumière, peut vous faire approcher l'infini. Prince de l'outre noir, il continue aujourd'hui à faire de son art une interrogation, une méditation, une concentration provoquant apaisement et émotion. Pierre Soulages nous avait reçu dans la maison où il vivait à Sète, face à la mer.
Une maison qu'il a choisie tout d'abord pour sa vue : « J'ai choisi ce lieu à cause de vue. On ne voit rien d'autre que la ligne d'horizon, des arbres mais pas de maisons, pas de routes, rien » Pierre Soulages travaille énormément. Pour lui, travailler, c'est observer : « Pour moi, c'est regarder comment s'organise les choses. Ce qui est clair, s'il faut une couleur. Travailler, c'est aussi sortir les toiles, il faut que j'ai du désir pour une toile. Mais je sais jamais si cela va être rapide ou pas, quelle couleur je vais utiliser. Je ne peins pas du noir, je peins avec du noir par la lumière qui réfléchit la toile. Ce qui est très différent. »
Pierre Soulages décrit ses tableaux comme un travail de la surface : « La peinture que je fais elle n'est ni devant, ni derrière, elle est en surface. Dans certains, il y a une illusion, une profondeur, mais ce qui se passe sur mes toiles est en surface. » Enfant, Pierre Soulages a d'abord commencé par peintre des arbres : « Je trouvais qu'il y avait une forte expressivité dans les grands arbres comme les peupliers qui poussent très droit, très gros, très calme. Et puis les chênes qui sont très imposants, très organisés. » Dans son enfance, il a également une hallucination avec une tâche de goudron : « C’était sur un mur que je voyais depuis ma chambre. J'étais heureux de les voir ces tâches. Elle me plaisait, et quand je passais à côté d'elle, je trouvais que c'était beau. C'était très riche, il y avait des parties qui étaient beaucoup plus tourmentées que d'autres. Et puis je me suis rendu compte que cette tâche ressemblait à un coq. Tout ça fait partie du champ mental par l'espace et la réapparition."
Devenu jeune adulte, Pierre Soulages ne voulait pas être peintre. Il était professeur de dessin et voulait faire de la peinture pour lui, et ne pas devenir un peintre exposé. Très vite, après la guerre, au moment où les peintres faisaient exploser les couleurs, les formes. Pierre Soulages crée son propre style : « Je me suis rendu compte que de grands artistes s'inspiraient de l'histoire de l'art, alors qu'en s'intéressant à une tâche, imprécise, on peut y donner une forme de plus en plus lisible. »
Alain Badiou, parlait de la peinture de Pierre Soulages, comme une « œuvre d'émotions », mais Pierre Soulages se définit comme un peintre pessimiste. L'année 1979 sera un moment clé dans son œuvre, il ouvre un nouveau cycle de travail. En pleine peinture, il ajoute et retire du noir par couche : « J'étais perdu dans un marécage, je pataugeais. Quand je suis revenu deux heures plus tard, le noir avait tout envahit, à un tel point que c'était comme s'il n'existait plus. » La même année, il expose ses premières peintures monopigmentaires, fondées sur la réflexion de la lumière sur les états de surface du noir, qu'il appellera plus tard au début des années 90, l'outrenoir : « Ce style de peinture, s'il fonctionne sur moi, il peut fonctionner sur quelqu'un d'autre, pas forcément à chaque fois, mais ça peut arriver. »
Pierre Encrevé a fait un travail monographique à travers toute une série de livres absolument exceptionnels sur le parcours et l'itinéraire de Pierre Soulages. Il évoque sa découverte de sa peinture : « J'étais adolescent et je ne connaissais absolument pas la peinture de Soulages. Je connaissais un peu la peinture du 20e siècle jusqu'à Matisse. Et puis j'ai vu dans le métro, une affiche d'exposition de Berggruen et ça a été un choc émotionnel extrêmement profond. Ça m'a fait l'effet que m'a fait toujours la peinture de Soulages. C'est une peinture dressée sur des toiles qui appelle celui qui la regarde à être lui même debout. C'était une période assez triste pour moi, c'était pendant la guerre d'Algérie, c'était quelque chose qui m'a été très pénible à supporter. J'étais encore au lycée, mais cette peinture a contribué à me faire tenir debout et jamais ça n'a cessé. J'ai connu cette peinture comme n'importe qui peut la connaître par une affiche, par des cartes postales, par des petits livres. Et puis j'ai été voir dans les expositions et un jour, par hasard, j'ai rencontré Pierre Soulages qui m'a accueilli et il a bien voulu que nous soyons amis. Et cette amitié s'est approfondie, si bien qu'un jour, je lui ai dit que pour sa peinture, j'aimerais lui rendre ce que je lui dois. »
Références bibliographiques
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