Si l'on considère tout ce qui s'est passé entre 1963 et 1966, les années couvertes par ce coffret, et si l'on considère le nombre d'enregistrements que Joe Henderson a fournis au cours de cette période, on ne peut ignorer son importance en tant que saxophoniste et en tant que personnage central dans le développement du jazz. Avec une relative discrétion, mais une grande détermination.
En fait, il n'y a pas longtemps, un critique a dressé une liste des 50 meilleurs albums Blue Note de tous les temps. Joe Henderson en a signé deux : "Page One" et "Mode for Joe". Ces bijoux sont présents ici, ainsi que deux sessions dirigées par Kenny Dorham, y compris les tout débuts de Joe Henderson sur le label, et ses trois autres albums, "Our Thing", "Inner Urge" et "In 'N Out". Et comme il restait un peu de place, cinq interprétations de compositions de Joe Henderson viennent compléter le tout, interprétées lors de sessions avec Johnny Coles, Blue Mitchell, Bobby Hutcherson, Larry Young et Horace Silver.
Une carrière courte, un héritage durable
L'évaluation de la personnalité de Joe Henderson au ténor suscite inévitablement des comparaisons avec ses contemporains John Coltrane, Sonny Rollins et Wayne Shorter. Ce qui distingue Joe Henderson des autres, c'est peut-être son accessibilité. Personne ne pouvait atteindre la profondeur harmonique de John Coltrane, qui frise la spiritualité ; ni la puissance lascive et colossale de Sonny Rollins ; ou l’originalité compositionnelle, comme venue d'un autre monde, de Wayne Shorter. Mais le jeu de Joe Henderson a donné l'impression aux musiciens qui sont venus après lui qu'il avait ouvert une voie qu'ils pouvaient suivre.
Pour les amateurs de jazz, Joe Henderson a exprimé tout ce qu'il voulait en restant toujours au plus près de la mélodie. En contrôle et tranquille sur des ballades comme Serenity. Fébrile et brûlant sur In 'N Out. Enjoué et décalé sur le Isotope monkien. Il était toujours explosif lorsqu'il jouait du hard bop, frais et désarmant lorsqu'il choisissait de jouer plus librement, soulful et familier lorsqu'il se lançait dans des couleurs plus latines. Dans son champ de vision et à ses côtés il y avait des musiciens qui s'en tenaient à des interprétations sensibles et respectueuses, et d’autres dont l'instinct allait vers les extrêmes du rythme, du registre, du tempo et de l'émotion. Joe Henderson n’est pas l’homme d’un seul registre.
Il y a un autre aspect fondamental dans son jeu : non seulement vous n'aviez jamais entendu auparavant la phrase qu’il énonçait, mais en raison de sa dévotion à l'invention spontanée, vous ne l'entendriez plus jamais.
La musique tout autour de lui
Joe Henderson était l'un des 15 enfants d'une famille de Lima, dans l'Ohio, qui accordait une grande importance à l'éducation musicale. La collection de disques d'un frère aîné, l'idolâtrie de Stan Getz d’abord et plus tard de Charlie Parker, ainsi que les groupes soul en tournée qu'il allait écouter, lui ont apporté cette éducation. Très tôt prometteur, il écrit des partitions pour l'orchestre de son lycée avant d'étudier au Kentucky State College et à la Wayne State University, où le jazz est roi.
Après un passage dans l'armée, il se rend à New York et est rapidement adopté par le trompettiste Kenny Dorham. Ce dernier a décrit une fête à laquelle Joe Henderson assistait et où les deux garçons se sont rencontrés, apparemment quelques instants après l'arrivée de Joe Henderson dans la ville. Ils sont partis écouter Dexter Gordon au Birdland, mais avant la fin de la soirée, Joe Henderson était lui-même sur la scène et tout le monde dans la salle était sous son emprise.
Joe Henderson s'est fait rapidement connaître, d'abord aux côtés de Kenny Dorham, plus âgé, puis avec Horace Silver et d'autres. Dès le début, ses solos sont distinctif, mais aussi appropriés à la mélodie. Il se compare à un acteur interprétant la vision d'un auteur dramatique : la chanson et l'auteur établissent l'intention, son travail étant secondaire.
En tant que musicien dans un groupe, il était l'ultime auditeur. Inévitablement, ses solos commençaient par un commentaire ou une réflexion sur le solo précédent. Il pouvait commencer très humblement, monter en intensité, évoluer vers une série qui, malgré les écarts rythmiques, les sauts harmoniques et les rafales occasionnelles de notes incroyablement rapides, semblait très développée et cohérente, comme s'il avait choisi de balancer le dernier mot.
Enregistrements classiques avec de superbes musiciens
En plus des titres mentionnés plus haut, le coffret Mosaic comprend des classiques tels que Sao Paolo et Una Mas (One More Time) avec Kenny Dorham ; Blue Bossa de Joe Henderson tiré du LP "Page One" ; Step Lightly tiré de l'album “Blue Mitchell” du trompettiste ; son travail avec Horace Silver sur Cape Verdean Blues ; et le propre Inner Urge de Joe Henderson, enregistré à une époque où le jeune saxophoniste ressentait la pression de se tailler un destin culturel dans le bastion new-yorkais.
Les séances rassemblent des musiciens tels que Herbie Hancock, Butch Warren, Tony Williams, McCoy Tyner, Pete LaRoca, Andrew Hill, Eddie Kahn, Richard Davis, Elvin Jones, Tommy Flanagan, Albert Heath, Bob Cranshaw, Leo Wright, Duke Pearson, Walter Perkins, Gene Taylor, Roy Brooks, Grant Green, Bobby Hutcherson, Al Harewood, Woody Shaw, J. J. Johnson, Roger Humphries et d'autres. J. Johnson, Roger Humphries, Lee Morgan, Curtis Fuller, Cedar Walton, Ron Carter et Joe Chambers.
Une reproduction sonore étonnante
En créant ce monument à la gloire de Joe Henderson, Mosaic a fait écho à ce qu’il avait fait précédemment sur Hank Mobley. Un retour aux bandes analogiques originales de Rudy Van Gelder pour de nouveaux transferts avec le débit binaire le plus élevé possible et les meilleurs convertisseurs analogique/numérique d'aujourd'hui.
Le son dépasse de loin celui des CD antérieurs, éliminant toute scorie, et rivalise avec les microsillons originaux en termes de chaleur, de portée et de son. C'est aussi proche que possible de la sensation de se trouver dans le studio en train d'écouter les masters originaux.
Sur cinq CD, on trouve 47 morceaux, dont 3 inédits. Le livret comprend comme toujours chez Mosaic un essai original et une analyse piste par piste, cette fois signés par Bob Blumenthal, ainsi que de nombreuses photos rares.
Note du producteur Michael Cuscuna :
Joe Henderson a littéralement explosé sur la scène du jazz en 1963 grâce à son mentor Kenny Dorham et au soutien de Blue Note Records. Joe et K.D. ont collaboré sur cinq albums exceptionnels en 1963-64 en s'échangeant le leadership et en partageant toutes les autres responsabilités.
Joe a fait un malheur avec son quartet "Inner Urge" en novembre 64. Quatorze mois plus tard, il a réalisé son dernier album Blue Note "Mode For Joe", puis il a soudainement disparu de chez Blue Note. Lorsque j'ai commencé à penser à un coffret Mosaic sur la production de Joe à Blue Note en tant que leader et co-leader, j'ai été stupéfait de constater qu'il n'y avait que quatre disques et demi. L'inclusion des originaux de Joe qu'il a joués en tant que sideman et qu'il n'avait pas encore enregistrés lui-même complète le coffret.
Mais sa contribution au label entre 1963 et 1967 a été si étendue et omniprésente grâce aux 20 apparitions en tant que sideman qu'il a faites pour le label au cours de ces années - toutes d'une qualité infaillible, d'une innovation et d'une ouverture étonnantes.
Pensez à son art sur "Idle Moments" de Grant Green, "Black Fire" et "Point Of Departure" d'Andrew Hill, "The Sidewinder" de Lee Morgan, "Brown Sugar" de Freddie Roach, "Basra" de Pete LaRoca, "Song For My Father" d'Horace Silver, "Unity" de Larry Young et "The Real McCoy" de McCoy Tyner, pour ne citer que neuf chefs-d'œuvre influents.
Même à cette époque grisante, je ne peux pas penser à un musicien qui a eu plus d'impact et d'ampleur au cours de ces années.
(extrait du communiqué de presse en anglais - traduction E. Lacaze / A. Dutilh)