Pour de nombreux jeunes Lettons, l’année 2023 commence dans les casernes. Des centaines d’hommes de 18 à 27 ans se sont présentées volontairement dans les bureaux de recrutement à l’appel du ministre de la Défense. En juillet 2022, le gouvernement avait en effet annoncé le rétablissement du service militaire, d’abord sur une base volontaire, puis d’ici cinq ans, pour tous les jeunes Lettons. Les femmes pourront servir aussi mais seulement si elles le souhaitent.
L’invasion russe de l’Ukraine le 24 février 2022, et avant elle, la guerre du Donbass depuis 2014, ont incité les pays baltes à relancer la conscription : seule l’Estonie ne l’avait jamais abrogée. Elle a aussi poussé les pays du Nord d’abord à adhérer à l’Otan, en ce qui concerne la Finlande et la Suède rompant ainsi avec leur tradition de non-alliance, mais aussi à renforcer toute leur doctrine de sécurité nationale, basée sur une armée de métier très largement épaulée par les conscrits et les réservistes et sur une mobilisation "totale" de la société, notamment via le service civique que la Suède a annoncé le 9 janvier 2023 vouloir relancer.
À quel point les gouvernements et les populations de ces pays nordiques et baltes ont-ils peur d’une offensive russe ? Quel rôle les citoyens de ces "petits" États jouent-ils dans la défense du territoire, tant d’un point de vue militaire que civil ? Dans quelle mesure adhèrent-ils à cette doctrine de défense territoriale totale ?
Pour répondre à ces questions, Julie Gacon reçoit Barbara Kunz, chercheuse à l’Institut de recherche sur la paix et la sécurité de Hambourg ainsi que Živilė Kalibataitė, docteure en sciences politiques.
"La Russie est perçue comme la menace principale depuis l'indépendance des années 90 par les trois pays baltes. Mais cela ne signifie pas qu'ils aient choisi les mêmes formats d'armée nationale", observe Živilė Kalibataitė.
"Un élément important de l'identité nationale des pays nordiques est ce sentiment d'être un tout petit pays victime des grandes puissances et de l'histoire en général. Pour éviter cela, ils souhaitent et doivent construire une défense nationale forte", explique Barbara Kunz.
Pour aller plus loin :
Barbara Kunz est l'autrice d'une note pour l'IFRI intitulée L’Europe du nord face au défi stratégique russe, parue en 2018.
Seconde partie : le focus du jour
Grèce : les conscrits au service de la patrie et de l’économie
En mai 2021, la Grèce prolongeait le service militaire de 9 à 12 mois pour parer à la menace turque, de plus en plus pressante en mer Egée. Dépourvu d’armée de métier, le pays compte en effet sur la conscription pour garantir sa sécurité nationale, mais aussi pour relancer l’économie, maquiller les chiffres du chômage voire épauler la police dans la politique migratoire. Né en même temps que l’Etat grec contemporain en 1830, comment le service militaire s’est-il retrouvé au cœur d’enjeux politiques aussi bien extérieurs qu’intérieurs ?
Avec Angeliki Drongiti, chercheuse postdoctorante au Laboratoire PLACES de Cergy Paris Université, membre du Cresppa-CSU et du Laboratoire d’Analyse Sociale et de Recherche Sociale Appliquée de l’Université de l’île de Crète.
"Les frontières grecques coïncident avec celles de l'Union européenne. Une des fonctions des conscrits est d'assurer leur protection et leur surveillance. C'est pratique pour l'Etat grec, car ils forment une main d'œuvre "gratuite" : les appelés grecs reçoivent 5 euros par mois", note Angeliki Drongiti.
Pour aller plus loin :
Angeliki Drongiti est l'autrice de deux articles sur la question du service militaire en Grèce intitulés Le service militaire en Grèce : fabriquer de « vrais hommes », paru en 2022, et Du « Mouvement pour l’armée » (1980-1985) aux associations antimilitaristes contemporaines : discontinuités, héritages et organisation de la lutte contre l’armée en Grèce, paru en 2020.
Une émission préparée par Barthélémy Gaillard et Julie Ducos.
Références sonores
- Ambiance d'un entraînement à l'aube chez les conscrits estoniens (Youtube - 21/08/19)
- Témoignage de Toomas Kask, lieutenant estonien volontaire qui évoque le souvenir de son grand-père et plus largement l’oppression soviétique (NATO - 11/12/15)
- En 2015, un jeune Lituanien fait part de ses sentiments contrastés face au retour du service militaire dans son pays (Youtube - 30/10/15)
- Finlande : tous soldats (France inter, le zoom de la rédaction - 27/06/22)
- Europe : le retour à la caserne ? (Arte - 2022)
- Ebba Ohlen et Liv Wedquest, deux Suédoises en plein service militaire, s’interrogent sur le sens de leur engagement et sur les extrémités auxquelles la défense de leur pays pourraient les mener (CGTN - 08/12/18)
Références musicales
- "Hey Saturday Sun" de Boards of Canada
- "Zombiai" de Antis (1986)
- "Robotakia" de Panx Romana