Le 3 octobre, lors d’un cross scolaire à Morbier, dans le Jura, dix-sept collégiens sont pris de malaises les uns après les autres : nausées, vomissements, convulsions…On soupçonne d'abord une intoxication...
Maelys, élève en classe de troisième est dispensée de courir au dernier moment à cause d'une douleur aux cervicales. Assise, elle observe ses camarades. Les filles en classe de troisième sont les dernières à passer quand la scène devient tout à coup irréaliste :
Une amie arrive et d'un coup j'entends crier : "elle convulse !" Une autre camarade tombe dans les vestiaires. Une autre amie arrive vers moi et me dit paniquée « je ne sens plus mes jambes ! » et je constate qu'elle tremble de tout son corps, ses jambes ne répondent plus et elle me hurle d'appeler les pompiers. Autour de nous il y avait déjà deux hélicoptères.
Deux élèves sont en "état d'urgence absolue", dont l'une avec un "pronostic vital engagé". Elles sont héliportées vers l'hôpital de Besançon.
On nous a rangés par classe puis fouillés pour trouver la cause de la contamination et un éventuel coupable.
Tout est suspecté : l'eau potable, les boissons, les brioches, jusqu'à la bombe que des filles avaient utilisée pour colorer leurs cheveux. Mais la piste de l'intoxication est rapidement écartée comme l'explique Linda Nourry, de l'Agence Régionale de Santé du jura :
Les résultats de l'eau potable étaient conformes. L’hypothèse alimentaire a aussi été écartée. Nous avons aussi suspecté des substances de médicaments et de stupéfiants mais les prises de sang et les analyses d’urine n’ont rien révélé. Aucune cause toxicologique ne pouvait expliquer l'événement.
Pour le procureur de la République, Lionel Pascal, la piste de l'intoxication semblait en effet peu probable :
Certains élèves "contaminés" avaient mangé à la cantine, d’autres chez eux. Certains avaient mangé de la brioche, d’autres non. Certains avaient bu, d’autres non et les symptômes partaient dans tous les sens !
Ancien neurologue au CHU de Rouen, Dominique Parain lit le fait divers dans la presse et reconnaît les symptômes du "syndrome psychogène collectif" :
Tout d’abord le cross est noté, il y a donc un terrain favorable au stress. Ensuite cela apparaît dans une collectivité, ici, scolaire, et les syndromes psychogènes concernent essentiellement les filles comme c'est le cas ici. Enfin, cela se propage à la vue, à la manière d'un bâillement. Les malaises des uns provoquent les malaises des autres.
Si la cause est imaginaire, les symptômes sont bien réels et auraient pour origine un dysfonctionnement temporaire de l'activité cérébrale :
Les connexions du cerveau se font et se défont en permanence, et à l’adolescence, la connectivité explose. Cela peut entraîner des malaises. Nous pensons que certaines images mentales peuvent déconnecter des régions corticales, entraînant une perte de contrôle et des symptômes divers.
Certains collégiens ont encore du mal à croire que ces crises spectaculaires aient une cause purement émotionnelle. Un déni fréquent dans ce cas, informe Dominique Parain.
**Reportage : Karine Le Loët **
Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Merci à Maelys, Magali et Jacqueline, à Brandon, à Linda Nourry, au procureur Lionel Pascal, au Dr. Dominique Parain et à Arnaud Mathieu. Merci beaucoup enfin à Laetitia Courti, journaliste au "Progrès", pour son aide précieuse ainsi qu'à Alice Milot.
Référence musicale de fin d'émission : Alone with me - Vance Joy - Album : Nation of two.
**Pour aller plus loin à propos du "syndrome psychogène collectif" : **
Les syndromes psychogènes : connaissances acquises et études de cas, Institut de Veille Sanitaire, 24 avril 2007.
"Lorsqu'en 1518, les Strasbourgeois se mirent à danser jour et nuit", Le Monde, article du 28 juillet 2014.