Les professionnels du soin sont à l'œuvre pour faire face à la seconde vague du covid 19, ils racontent leur quotidien et leurs conditions de travail. Dans les chambres, les patients sont simplement séparés par des paravents.
- Depuis 4 ans à Saint-Louis, infirmière depuis 10 ans, elle gagne moins de 2000 euros par mois en travaillant un week-end sur 2 et doit gérer trois patients atteints du covid, entubés, ventilés. Elle passe dans sa journée 12 heures avec eux. Ils sont souvent dans des états gravissimes. En bruit de fond, les machines de soin tournent à plein régime.
C’est une profession qui est en souffrance. On aime ce qu’on fait mais les conditions de travail sont catastrophiques. J’adore ce métier mais, des fois, je me demande pourquoi on est là.
Avec le contexte sanitaire, on lève le voile sur une situation affligeante. On s’est dit que ça allait changer mais là on arrive à la deuxième vague et rien n’a été fait.
Elle ne comprend pas comment l'Etat a pu injecter des milliards chez Air France qui ne vole plus et laisser les soignants dans cette situation. S'ils ont eu beaucoup de renfort au mois de mars, il semble que la deuxième vague revient trop vite et trop fort. Elle s'étonne que des décisions politiques n'aient pas été prises pendant l'été.
Rien n’a changé, si ce n’est qu’on est fatigués et qu’on est seuls. On l'est toujours et depuis des années, mais là, ça ne va pas le faire.
Il va falloir se dire qu’on ne va pas sauver le monde ce coup-ci.
- Un second travailleur de la santé était en Alsace au moment de la première vague, un lieu très touché, mais dans une mesure qui leur permettait de faire face à la crise. Cette fois, il voit venir une situation où ils ne seront pas capables de répondre aux besoins des patients.
On s’est retrouvé parfois dans la position d’un médecin de guerre qui a face à lui 50 hommes tombés au combat et qui ne peut en sauver que 25.
L’incertitude était difficile à gérer, ils ont été face à des malades qu'ils auraient voulu admettre en réanimation et qu'ils ne pouvaient même pas transférer, faute de place. Cette crise modifie leur façon de faire les choses.
Lui-même a été atteint du covid et il se dit prêt à faire face. C’est maintenant un ennemi qu'ils connaissent. Il sait cependant qu’ils peuvent être dépassés par la situation à court terme.
- Charlotte a 33 ans et a été aide-soignante pendant 10 ans. Elle est maintenant infirmière en réanimation médicale.
Elle dit avoir peur que cette seconde vague soit plus longue que la première, d'autant qu'ils ont beaucoup moins de renfort. Elle constate qu'elle comme ses collègues sont tous fatigués physiquement et psychologiquement. L'amplitude horaire de son temps de travail est encore accrue par la situation et elle n'a pas vu la couleur des primes annoncées par l'Etat.
Si je reste c’est pour l’équipe, si je pars c’est pour préserver ma vie privée et parce que je serai trop fatiguée.
- Elie Azoulay est médecin, réanimateur médical et chef de service en médecine intensive et réanimation à l'hôpital Saint-Louis
Les problèmes de la seconde vague sont les mêmes que ceux de la première : manque de personnel, de lits et incapacité à retrouver des soignants.
Il pointe que la maladie s’est étendue géographiquement et qu'ils ne peuvent plus transférer les malades vers des zones épargnées. Par ailleurs, l'hiver est une période où il y a, dans les hôpitaux, beaucoup de patients touchés par d’autres maladies.
Il sait qu'ils vont se retrouver face à des dilemmes moraux où il va falloir donner la priorité à certains patients sur d'autres: "Je vais devoir en refuser. Qu’est ce que je vais leur dire ?".
Je n’ai pas envie de vivre dans un monde où on annonce tous les jours le nombre de mort comme sur le champ de bataille.
Le professeur Azoulay critique la façon dont a été mené le déconfinement. La tension, la peur et la culpabilité des soignants l'inquiètent. Tout cela laisse des séquelles et favorise l'usure morale et physique.
Les boulangers continuent à faire du pain, on va continuer à faire du soin, on va tenir.
**Reportage : Joseph Confavreux **
Réalisation : Emmanuel Geoffroy
Merci à Elie Azoulay, Charlotte Bellotti, Anne-Sophie Bretaud et Raphaël Clère-Jehl, aux médecins, aides-soignants, infirmières, paramédicaux, chercheurs, secrétaires et à toutes les équipes du service de réanimation de l’hôpital Saint-Louis pour leur accueil. Et merci à l’APHP.
Chanson de fin : "Outside of the heart of it" de Holy Holy, Album : When the storms would come
Pour en savoir plus :
La vie en réanimation (1/5) "Soigner rend malade" - par Joseph Confavreux